La décision des citoyens de la Grande Bretagne de quitter l’Union Européenne me touche particulièrement puisque j’ai vécu avec bonheur à Watford, près de Londres, de 2007 à 2012.

Je m’efforce dans « transhumances » d’éviter les poncifs de café du commerce et de ne m’exprimer que lorsque je pense avoir quelque chose de personnel à dire. J’ai ainsi publié dans ce blog en janvier 2013, lorsque David Cameron avait annoncé un référendum sur l’appartenance à l’Union Européenne, un article intitulé « comprendre les eurosceptiques britanniques ».

À rebours de beaucoup de Français qui considéraient avec dédain la posture de politiciens anglais qui critiquaient une union qu’ils avaient profondément marquée de leur empreinte libérale, j’écrivais : « je suis euro-enthousiaste et si j’avais le droit de vote en Grande Bretagne je ne soutiendrais pas les Tories. Pourtant, il me semble que la position développée par David Cameron sur l’Europe mérite qu’on fasse l’effort de chercher à comprendre. »

Je n’ai pas, cette fois, de réflexions qui n’aient été mille fois exposées dans les médias. Pourtant, le sujet est suffisamment important pour que j’ose exprimer une opinion, fût-elle banale.

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Au festival de Glastonbury

Électeurs en colère

Ce qui me frappe d’abord, c’est le caractère protestataire du vote anglais et gallois. Une masse d’électeurs sont si « en colère », « exaspérés », « furieux », « ulcérés », « à cran » qu’ils sont prêts à voter non à tout ce qui leur est proposé et à remettre leur destinée aux mains de politiciens qui exploitent le ressentiment : Farage en Angleterre, et ailleurs Donald Trump ou Marine Le Pen.

Les exaspérés anglais sont en majorité vieux : 60% des plus de 65 ans ont voté « leave » alors que 73% des moins de 25 ans ont voté « remain ». Ils sont davantage ouvriers (64% en faveur du « leave ») que cadres (57% en faveur du « remain »). Ils sont souvent chômeurs ou retraités. Ils habitent en majorité dans des quartiers marginalisés, avec une forte proportion d’immigrés.

Cette sociologie du « leave » n’est pas proprement anglaise ou galloise. Alain Juppé a récemment déclaré qu’organiser un référendum sur l’Europe en France serait irresponsable. En 2005, un projet de constitution européenne avait été proposé au vote des citoyens. Son objectif tombait sous le sens : donner une légitimité démocratique aux institutions européennes. Il fut pourtant rejeté par une majorité d’électeurs exaspérés et remplacé par un traité, celui de Lisbonne, négocié entre les États dans une logique résolument technocratique.

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Jo Cox, députée travailliste pro-européenne, assassinée pendant la campagne du référendum

Des démocraties vulnérables

Face à l’exaspération, les démocraties occidentales s’avèrent vulnérables. En 2005 déjà, le débat européen divisait les partis en France. Le referendum sur le Brexit a mis la mal les partis de gouvernement. Tous deux étaient officiellement partisans du « remain ». Mais 37% des électeurs travaillistes ont voté en faveur du « leave », et 58% des électeurs conservateurs. Les partis politiques, déchirés de l’intérieur, n’offrent plus de vision cohérente ni de programme crédible.

Les innovations technologiques et l’ouverture des marchés ont toujours bouleversé les sociétés. Elles provoquent une inégalité croissante entre ceux qui sont équipés pour en tirer avantage et ceux qui les subissent comme une menace et une disgrâce. Leur rythme ne cesse de s’accélérer.

Penser que les États occidentaux puissent ralentir le cours de l’histoire, ériger des barrières, financer des investissements massifs est une illusion. La scène de l’histoire, c’est davantage l’Asie que l’Europe. La crise des réfugiés montre qu’aucun mur n’est infranchissable. Le niveau d’endettement des États limite leur capacité financière.

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Craquements à venir

Si le pire n’est pas sûr, il faut pourtant s’attendre à des craquements douloureux dans nos sociétés, et peut-être à la prise de pouvoir dans de nombreux pays par des populistes empressés de jeter de l’huile sur le feu pourvu que cela serve leurs ambitions. Il ne serait pas étonnant que nous ayons à vivre des événements dramatiques, ceux que la construction européenne nous a épargnés après le carnage des deux guerres mondiales.

Notre arme, ce serait alors l’énorme complexité de nos sociétés, dans laquelle la société civile ne pourra plus jamais s’identifier aux « masses » chères aux dictatures du vingtième siècle. S’il faut résister un jour, cette résistance sera plus diversifiée, multiforme, multinationale. Ne craignons pas l’avenir. Préparons-nous !

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