ActualitéCinémaTélévision16 mars 20170Sugarman, Detroit et Trump

Arte TV a récemment diffusé Sugar Man, film de Malik Bendjelloul, Oscar du meilleur documentaire en 2013. Il entre singulièrement en résonnance avec ce que révèle l’élection de Donald Trump de la société américaine.

 Sugar Man raconte le destin peu ordinaire de Sixto Rodriguez, chanteur tombé dans l’oubli dans son pays, les États-Unis, et devenu à son insu une star de la contre-culture anti-apartheid en Afrique du Sud. Cinq ans après sa sortie en salles, le film prend une couleur particulière à la lumière de l’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump.

Sixto Rodriguez est issu d’une famille mexicaine immigrée à Detroit dans les années 1920. La ville était alors la capitale de l’industrie automobile, un symbole de la réussite américaine. Elle a subi de plein fouet le choc de la désinsustrialisation. Elle s’est déclarée en faillite en 2013. Les photographes Yves Marchand et Romain Mestre ont réalisé un reportage impressionnant, publié par The Guardian en janvier 2011, sur la ruine de cette ville autrefois brillante, sous l’angle de son patrimoine architectural : théâtres, gare, bibliothèques.

Michigan Station, à Detroit, photographiée en 2011 par Yves Marchand et romain Mestre

La ville de Detroit tente de se reconstruire en réorganisant ses quartiers, en reconvertissant des friches industrielles en jardins urbains, en s’ouvrant aux artistes. Sixto Rodriguez est né à Detroit. Après l’échec de sa carrière de chanteur, il y a exercé divers métiers manuels dans le bâtiment, le ramassage d’ordures, comme pompiste ou encore comme ouvrier agricole. Il ne considère pas cela comme une déchéance. Dans « A Most Disgusting Song », il évoque les gens qu’il a côtoyés comme artiste : « J’ai joué dans toutes sortes d’endroits possibles/Bars de pédés, bars à putes, enterrements de motards / Dans des salles d’opéra, des salles de concert et des centres de réhabilitation / Et j’ai découvert que c’étaient les mêmes gens ».

Ce qui fascine chez Sixto Rodriguez, tel qu’il est présenté dans Sugar Man, c’est la continuité tranquille entre le fils d’immigré s’efforçant au jour le jour de joindre les deux bouts par des petits boulots et l’artiste qui trouvera tardivement une reconnaissance internationale. Il n’y a pas de rancœur chez lui. Simplement l’envie d’emmener ses filles, encore gamines, au musée ; une fringale de lecture ; un master de philosophie obtenu alors qu’il travaillait de ses mains ; l’accompagnement de jeunes en difficulté ; l’engagement politique et plusieurs candidatures au Conseil municipal de Detroit et à la Chambre des représentants.

Artistes travaillant à proximité de Michigan Station, photo The Guardian

Dans ce sens, Sixto Rodriguez apparaît comme une sorte d’anti-Trump. Donald Trump a capitalisé sur les frustrations et l’anxiété de la classe ouvrière blanche précarisée. Il lui propose des murs contre l’immigration, des frontières douanières, une vie protégée entre-soi. « Cold fact » et « Coming from reality », titres des albums de Rodriguez, semblent faire écho à cette réalité glaciale. Detroit peut apparaître comme un creuset du trumpisme. Mais c’est une autre culture que le chanteur incarne : celle d’un dépassement de l’oppression par en haut, par la musique, par la fraternité au-delà des frontières, par le savoir partagé.

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