ActualitéJusticeSociété5 novembre 20170Enfermement

Je visite chaque semaine un ami dans un établissement pour personnes âgées dépendantes et des détenus en maison d’arrêt. Deux faces de l’enfermement.

On entre en maison de retraite par une libre décision ; en prison, par contrainte. En réalité, l’entrée dans le grand âge et la dépendance est une fatalité subie. Bien souvent, l’admission dans un établissement est l’unique option réaliste pour la personne âgée et sa famille. Quant à l’entrée en prison, elle est parfois vécue par un délinquant comme un risque assumé librement en conséquence d’un mode de vie hors des règles de la société. Un peu de choix dans les deux situations, grand âge et prison, mais beaucoup de contraintes.

La prison consiste essentiellement en une limitation sévère de la liberté de mouvement. Le corps de la personne âgée dépendante est lui-même immobilisé, rigidifié, contraint à recevoir passivement les soins qu’on lui administre. Son esprit lui-même, torturé par les pertes de mémoire et affaibli par la perte d’intérêt pour les choses du monde, voit son champ rétrécir pour devenir tout petit jusqu’à se restreindre aux petits agacements quotidiens. En prison comme dans le grand âge, le corps entravé.

La personne âgée dépendante voit peu à peu son réseau de relations s’affaisser. Des amis meurent l’un après l’autre. La surdité rend difficile la communication au téléphone. Les relations sexuelles se raréfient ou disparaissent. Le prisonnier est coupé de sa famille. Bien souvent, sa relation de couple ne résiste pas à la séparation et au sentiment d’infâmie. Ses enfants grandissent loin de lui. Il perd son travail. L’enfermement dans le grand âge et l’incarcération ont pour trait commun la solitude.

Ce qui fait souffrir avant toutes choses la personne âgée dépendante, c’est le sentiment d’inutilité. Elle est rongée par le regret de n’être plus indispensable, ni même nécessaire, pour quiconque. Sa vie n’a plus de sens. Ce qui caractérise le quotidien d’un détenu, surtout en maison d’arrêt, c’est l’oisiveté. Il s’estime heureux s’il peut travailler aux services généraux de la prison ou en atelier. En prison, l’ennui suinte minute après minute, jour et nuit. Le vieillard sénile et le détenu sont, l’un et l’autre, facilement infantilisés.

L’enfermement d’une personne incarcérée et celui d’une personne âgée dépendante se ressemblent. La différence majeure est la manière d’en sortir. Pour les personnes âgées, l’issue unique est la fin de leur vie. Pour les prisonniers, la libération, l’aménagement de peine, l’évasion ou la mort naturelle ou par suicide.

Ne lisez pas ce papier comme sombre ou fataliste. L’enfermement, quel qu’il soit, celui du grand âge ou celui de la détention, pèse d’un poids terrible. Mais ce qui est magnifique dans la vie, c’est la capacité des humains à ne pas se résigner. Pour une personne âgée dépendante, c’est résister à la perte de mémoire, continuer à séduire, entrer en relation. Pour une personne détenue, c’est faire la paix avec son entourage, avec ceux qu’on a outragés, avec soi-même. Aux côtés de l’un et de l’autre, se trouvent des bénévoles déterminés à les accompagner dans leur chemin.

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