EconomieEuropeManagementVoyages30 novembre 20130Formidables vendeurs de tapis

En arrivant dans un centre de production et de vente de tapis artisanaux à Tavas, près de la ville anatolienne de Denizli, nous n’avions aucune intention d’acheter. Deux heures plus tard, nous avions découvert que notre appartement de Bordeaux serait triste sans l’apport de couleur d’un tapis brodé à dominante orange. Et les vendeurs avaient réussi à nous rendre heureux de cette dépense imprévue. L’âme commerçante des levantins n’est pas une fable.

 A notre arrivée au centre, un bâtiment moderne au bord de la route nationale, nous sommes reçus par un monsieur d’âge respectable parlant un français châtié. Il nous présente un atelier de broderie dans lequel travaille une demi-douzaine de femmes. Il nous explique que cet atelier n’a qu’un objectif pédagogique et commercial.

Atelier de tapisserie à Tavas
Atelier de tapisserie à Tavas

 L’entreprise fait en réalité travailler environ 4000 femmes à domicile, principalement dans les villages de la vallée environnante. Habilement, notre interlocuteur désarme une à une les préventions d’un visiteur occidental. Non, l’entreprise ne fait pas travailler des fillettes. Oui, la rémunération des brodeuses, payées à la tâche, est faible si on la considère selon des critères occidentaux, mais le coût de la vie dans les campagnes est faible, lui aussi. Oui, ces femmes sont heureuses de doubler, par leur travail, le revenu de leur foyer ; cela leur apporte de la dignité. Acheter le produit de leur travail, c’est faire une bonne action. C’est aussi acquérir une œuvre d’art. Un tapis, c’est la cravate de la maison, inutile sur le plan fonctionnel, indispensable au bon goût.

 Dans une seconde salle, nous assistons à une démonstration de filage à partir de cocons de vers à soie. Le groupe est ensuite invité à prendre place sur des banquettes dans une vaste salle aux parois couvertes de tapis. On nous offre du thé de pomme, du vin local, de la bière et des sodas. Notre hôte insiste sur le fait que nous sommes ses invités, que nous sommes libres de ne rien acheter et que si on ne nous offre pas de raki (anisette), c’est pour échapper au soupçon d’enivrer les clients potentiels pour les inciter à dépenser.

 Après une courte vidéo montrant le processus de production des tapis de la matière première au produit fini, on déploie devant nous des dizaines de tapis, en laine, en lin, en coton ou en soie, avec des styles allant du classique motif oriental à la reproduction de tableaux de Kandinsky. On nous invite à les fouler aux pieds, à les toucher. Brigitte a un coup de cœur pour un tapis en laine de couleur à dominante orange. De mon côté, je suis ébloui par un grand tapis lumineux, réalisé avec des laines de moutons de races et de teintes différentes, sans coloration.

 Un vendeur aux aguets a repéré nos éblouissements. Lui aussi parle un français impeccable. Il nous entraîne dans un salon particulier où, de nouveau, il nous offre des boissons ainsi que la promesse renouvelée que nous restons libres d’acheter ou non.

 Notre choix se concentre sur le tapis orangé. Le vendeur désarme une par une nos craintes : les griffes du chat seront inoffensives grâce à la technique du double nœud coulant ; si nous nous lassons de ce tapis, nous pourrons l’échanger contre un autre ; le style plutôt classique du tapis de jurera pas avec la modernité de notre appartement, et le contraste sera au contraire seyant.

 Le vendeur tient à nous présenter un tapis en soie dont le dessin et l’esthétique sont de notre goût. Son prix, de l’ordre de 25.000€, fait apparaître celui du tapis de notre cœur comme une aubaine, sinon une aumône.

 Nous restons réticents à engager une dépense aussi importante qu’imprévue. Un homme se présentant comme chef de production et cousin du patron intervient alors opportunément. Il surenchérit sur la réduction déjà proposée par le vendeur, et nous offre une descente de lit. L’affaire est conclue. Pour fêter l’événement, on nous amène du raki. Le directeur de production joue un air de guitare et le patron de l’entreprise nous dédicace son livre pendant que d’autres articles nous sont proposés. Malgré la tentation, nous restons inflexibles : l’hémorragie de nos finances en restera là !

 Nous nous trouvons alors en présence de l’employée administrative, elle aussi francophone et compétente. Nous payons un acompte, le tapis nous sera livré à Bordeaux toutes taxes payées dans six semaines, nous règlerons le solde par chèque à réception.

 C’est d’un acte de vente de haute volée que nous avons été participants. De la mise en condition à la conclusion, le scénario était écrit avec une précision millimétrique. Il fut exécuté avec maestria par une équipe soudée dans laquelle chacun avait son rôle, du manutentionnaire déployant les tapis sur le sol au patron venu, une fois la vente faite, la célébrer avec nous et nous inciter à acheter plus.

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Un tapis artisanal de Tavas

 Le plus remarquable, c’est que nous sommes sortis heureux de ce presse-purée commercial : heureux d’avoir acheté un bel objet, heureux du temps passé avec des professionnels efficaces et sympathiques. En parallèle au centre de commercialisation de tapis artisanaux, les gens de Tavas seraient qualifiés pour ouvrir une école internationale de vente !

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