Notre ami Jacques Sarrand est décédé le 9 décembre à l’âge de 93 ans.
Il était depuis vingt ans notre voisin à Maubuisson. Nous tenions de longues conversations par-dessus la palissade qui séparait nos jardins. Il nous parlait du Maroc et de sa guerre avec Leclerc. Il adorait bricoler, moi pas, il était heureux de rendre service. Nous nous étions pris d’affection pour lui. Alors qu’il avançait vers l’extrême vieillesse, je suis devenu curateur à sa personne, un membre de la famille en somme.
Jacques était né à Casablanca d’un père jurassien grièvement blessé pendant la première guerre mondiale. Soigné à Rochefort, il avait épousé son infirmière. Lyautey cherchait des enseignants pour le Maroc à peine « pacifié » : Marcel, encore mal remis de ses blessures, accepta le défi ; Gabrielle accepta de le suivre.
Enfance heureuse au Lycée Lyautey, où papa enseignait. Pratique intensive du sport, en particulier le basket. Vacances d’été dans Le Jura et à Rochefort, après une longue traversée de l’Espagne en voiture par de mauvaises routes. Amitiés d’enfance qui dureront toute la vie.
En 1942, Jacques a 18 ans. Les Américains débarquent au Maroc. La France Libre prend les commandes du protectorat. Il est enrôlé dans l’armée, dans les blindés car il n’aime pas marcher ! Formation dans le Yorkshire. Débarquement en Normandie avec Leclerc. Il conduit des engins avitaillant les chars, des half-tracks, des jeeps, des motos. Libération de Paris. Libération de Strasbourg. Sarrebruck. Berchtesgaden. Dachau. Jacques se régale des pots de crème de riz au miel d’Hitler !
Démobilisé, il rêve de joindre l’expédition au Groenland de Paul-Émile Victor, mais il rentre finalement au Maroc et intègre la douane. Il sera en poste au Maroc, à Casablanca puis Tanger, jusqu’en 1958. Il occupera ensuite plusieurs postes en France jusqu’à ses soixante ans et son départ à la retraite, en 1984.
Après un éphémère mariage après la guerre, Jacques avait choisi de vivre avec « Lulu », une amie du temps de son adolescence à Casablanca. Elle sera la femme de sa vie. De précédentes unions, Lulu avait deux filles, que Jacques éleva et adopta. Le hasard fait qu’il est mort un jour de téléthon : un drame de sa vie fut la mort de sa petite fille de la mucoviscidose.
Il y avait du paradoxe chez Jacques. Participant de l’épopée héroïque de Leclerc, il racontait sa guerre volontiers sous la forme d’anecdotes drôles ou croustillantes. Pas du tout « intello », passionné de moteurs et de mécanique, il connaissait par cœur le Larousse de la médecine et était abonné à Sciences et Avenir.
Ce qui m’a fasciné chez lui, c’est son humanité : le goût d’un apéritif partagé à l’ombre de l’auvent d’une caravane avec des amis d’enfance ; sa volonté d’aller de l’avant lorsque l’étreignait le chagrin d’avoir perdu un proche ; sa fidélité en amitié, malgré la distance des lieux et des destins.
Je suis heureux d’avoir connu cet homme.
Une réflexion sur « Jacques »