HistoireLivresMonde ArabeReligion20 octobre 20140Mahomet selon Maxime Rodinson

La biographie de Mahomet écrite en 1968 par le linguiste, historien, sociologue et orientaliste Maxime Rodinson (1925 – 2004) reste un ouvrage de référence, près d’un demi-siècle après sa publication.

 Mahomet, ou comme il était désigné de son temps, Mohammad fils d’Abdallah, est né vers 571 et est mort en 622. Il est l’une des personnalités qui ont eu le plus d’influence sur l’histoire de l’humanité. C’est un personnage hors du commun, né orphelin dans une famille socialement déclassée, qui devint prophète et homme politique. Il unifia l’Arabie, jeta les bases d’un empire qui en moins d’un siècle domina un espace immense, des confins de la Chine à la Péninsule Ibérique. Il laissa un texte fondateur, le Coran, qui inspire aujourd’hui encore des centaines de millions d’hommes et de femmes.

Mosaïque à Kairouan
Mosaïque à Kairouan

La biographie de Mahomet par Maxime Rodinson commence par une analyse historique et sociologique de la Péninsule Arabique au sixième siècle. L’essentiel de la population est nomade et vit dans une grande précarité, à la merci de la sécheresse et de la famine. La guerre impitoyable que se livrent les deux superpuissances de l’époque, l’Empire romain byzantin et la Perse sassanide, a rendu la route de la soie dangereuse. Le trafic de la soie et des épices de l’Inde vers la Méditerranée est en partie dérouté vers les ports du Yémen, d’où les marchandises sont acheminées à destination via la Mecque et Médine. On dirait aujourd’hui que l’Arabie, traversée par de nombreuses caravanes marchandes, s’est mondialisée. Des commerçants s’enrichissent. Ils protestent contre des règles de vie sociale qui ne reconnaissent que la tribu et ne considèrent pas les mérites individuels. Les laissés pour compte, de leur côté, ressentent comme insupportables la montée des inégalités et l’oubli des mécanismes de solidarité et de redistribution traditionnels.

 Un homme complexe

 Les premières révélations reçues par Mahomet annoncent un Jugement final par lequel Allah, le seul Dieu, évaluera chacun selon sa foi et punira ceux qui ont eu un comportement inique. C’était exactement le discours qu’attendaient les commerçants et les bédouins dans une société en pleine mutation. Encore fallait-il définir un corps de doctrine, des rites à pratiquer, des règles à appliquer. C’est ce que, pendant des années, Allah fera par la voix de son prophète, d’abord à La Mecque puis après l’hégire (l’exil), à La Mecque.

 Maxime Rodinson est fasciné par son personnage, par sa complexité et son énergie, prophète comme Jésus et homme politique comme Charlemagne. « Si nous comprenons bien, écrit-il, Mahomet était un homme complexe, contradictoire. Il aimait le plaisir et se livrait à l’ascèse. Il fut souvent compatissant et quelquefois cruel. C’était un croyant dévoré d’amour pour son Dieu et un politique prêt à tous les compromis. Doué de peu d’éloquence dans la vie ordinaire, son inconscient pendant une courte période fabriqua des textes d’une poésie déconcertante. Il fut calme et nerveux, courageux et craintif, plein de duplicité et de franchise, oublieux des offenses et atrocement vindicatif, orgueilleux et modeste, chaste et voluptueux, intelligent et, sur certains points, étrangement borné. Mais il y avait en lui une force qui, avec l’aide des circonstances, devait en faire un des quelques hommes qui ont bouleversé le monde. »

 Une expérience mystique

 Comment Rodinson, qui se professait incroyant, a-t-il approché la nature religieuse du message de Mahomet ? Contrairement à des apologistes chrétiens qui le traitaient d’imposteur, il lui donne le crédit de la bonne foi. Elle ne fait aucun doute, selon lui, en ce qui concerne les premières révélations, bouleversantes, exprimées dans une langue heurtée comme les eaux roulant sur les pierres d’un torrent. Il cite l’expérience d’une mystique chrétienne, Thérèse d’Avila : « Dieu s’établit lui-même dans l’intime de cette âme de telle sorte que, quand elle revient à elle-même, elle ne saurait avoir le moindre doute qu’elle n’ait été en Dieu et que Dieu n’ait été en elle. » C’est quelque chose de cette nature qu’a dû éprouver Mahomet. On sent Rodinson hésitant en ce qui concerne la période du prophète à Médine lorsque, devenu un chef de plus en plus influent, Allah venait opportunément à sa rescousse confirmer ses intuitions sur le gouvernement de la communauté et de ses affaires familiales. Mais même dans ce cas, il admet que le Prophète ait réellement pu se croire inspiré par son Dieu.

 En référence au contexte actuel d’interprétations djihadistes et fondamentalistes de l’Islam, la vie de Mahomet racontée et interprétée par Maxime Rodinson fournit de précieuses indications. Ont-ils raison de tirer le message du prophète vers une position belliqueuse et exclusive ? Il fut un homme politique avec un sens aigu des alliances qu’il fallait conclure et des ennemis qu’il fallait abattre sans pitié. Il commandita personnellement l’assassinat d’opposants. Il expulsa de Médine des tribus juives et les spolia. Mais il insistait aussi sur la miséricorde de Dieu, pratiqua lui-même le pardon. Il organisa un statut spécifique pour les Gens du Livre (Juifs et Chrétiens) leur reconnaissant le droit de vivre en paix au sein de la communauté musulmane. L’idée de massacrer des hommes, des femmes et des enfants en raison de leur appartenance raciale ou religieuse était totalement étrangère à son univers mental.

Après sa mort, Mahomet a été sacralisé et presque déifié, au point de menacer son intuition fondamentale : l’unicité de Dieu. Mais ce qui reste une fois refermé le livre de Rodinson, c’est l’image d’une personnalité complexe qui, par sa foi, sa force et son intelligence, a transformé la société arabe et le monde connu de son époque et jusqu’à nos jours.

Maxime Rodinson
Maxime Rodinson

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