LivresReligion6 février 20150Pour les musulmans

 

Dans « Pour les musulmans » (La Découverte, 2014), Edwy Plenel alerte contre le danger de considérer les musulmans français comme un groupe homogène inassimilable et menaçant, comme ce fut le cas des Juifs.

 Le titre du livre est emprunté à un article d’Émile Zola paru dans le Figaro le 16 mai 1896, dix-huit mois avant son fameux « J’accuse », moment clé de l’Affaire Dreyfus. Cet article avait donc pour titre « Pour les Juifs ». En voici un extrait : « les Juifs sont accusés d’être une nation dans la nation, de mener à l’écart une vie de caste religieuse et d’être ainsi, par-dessus les frontières, une sorte de secte internationale, sans patrie réelle, capable un jour, si elle triomphait, de mettre la main sur le monde (…) On finit par créer un danger, en criant chaque matin qu’il existe. À force de montrer au peuple un épouvantail, on crée le monstre réel (…) Désarmons nos haines, aimons-nous dans nos villes, aimons-nous par-dessus les frontières, travaillons à fondre les races en une seule famille, enfin heureuse ! (…) Et laissons les fous, et laissons les méchants retourner à la barbarie des forêts, ceux qui s’imaginent faire de la justice à coups de couteau. »

 

Edwy Plenel
Edwy Plenel

La construction d’un « problème musulman »

 Edwy Plenel nous invite à substituer le mot « Juif » par « Musulman », et le texte de Zola devient d’une criante actualité. On construit un problème musulman, comme on construisait un problème juif du temps de Zola. Lorsque le soi-disant « problème juif » est devenu central dans la politique européenne, lorsqu’on s’est fixé comme tâche prioritaire de trouver une solution définitive à ce « problème », on sait les drames qui s’en sont suivis.

 Un mot clé du livre de Plenel est « essentialisation ». On refuse de regarder nos concitoyens musulmans dans leur diversité, on les réduit à un bloc unique qui par essence serait radical, fondamentaliste, menaçant. Ayant ainsi figé l’Islam comme une civilisation homogène, on franchit un pas en déclarant que toutes les civilisations ne se valent pas. Il y aurait donc, parmi les Français, ceux qui adhèrent à la civilisation supérieure (judéo-chrétienne), et des citoyens de seconde zone.

Plenel souligne que se superpose à cette discrimination religieuse une discrimination sociale. « Silence aux pauvres ! dit Plenel citant Henri Guillemin. Et pour ce faire qu’ils soient disqualifiés en étant renvoyés à leurs superstitions supposées imbéciles ou fanatiques, ainsi dépouillés de leur richesse spirituelle, réduits à ne plus être que des bras qui travaillent et non plus des esprits qui rêvent. »

 Le piège de « l’assimilation »

 L’idée de supériorité d’une forme de civilisation s’enracine dans le passé colonial de la France, investie d’une « mission civilisatrice ». Nous exigeons aujourd’hui de nos concitoyens musulmans qu’ils s’assimilent, comme nous l’exigions autrefois des colonisés. « L’assimilation, écrit Plenel, est une injonction terrifiante qui fut aussi celle de la colonisation, notamment française : n’accepter l’Autre qu’à la condition qu’il ne soit plus lui-même, ne le distinguer que s’il décide de nous ressembler, ne l’admettre que s’il renonce à tout ce qu’il fut. »

 En conclusion de son livre, Plenel cite Franz Fanon : « Supériorité ? Infériorité ? Pourquoi tout simplement ne pas essayer de trouver l’autre, de sentir l’autre, de me révéler l’autre ? Ma liberté ne m’est-elle donc pas donner pour édifier le monde du Toi ? Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme où qu’il se trouve. »

 Comprendre la diversité de l’Islam

« Pour les musulmans » lance un cri d’alarme contre la dérive qui existe jusqu’à gauche de créer un « problème musulman » qu’il faudrait résoudre en priorité en contraignant nos citoyens musulmans à s’assimiler ou à s’exclure de la communauté nationale. Il ne s’attache pas à démonter les clichés attachés à l’Islam en France : intolérance, sexisme, djihad, inculture…

 Il existe certes un risque « d’essentialiser » l’Islam en cherchant à prouver que, par nature, il est tolérant, accueillant aux femmes, pacifique, cultivé… Mais chercher à connaître l’Islam dans toute sa diversité, comprendre comment il s’est peu à peu sédimenté dans les courants sunnite et chiite et de nombreux mouvement spirituels est probablement le meilleur moyen de désamorcer la bombe d’incompréhension et de haine que dénonce Edwy Plenel. On le sait : les terroristes djihadistes sont ignorants en Islam, comme le sont les élites françaises. On a besoin d’un travail en profondeur pour se réjouir des différences, comme le préconise Plenel, mais aussi pour entrer dans leur intelligence et en jouir pleinement.

En Australie, une militante revendique un Islam pluraliste : pas de terrorisme en mon nom !
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