Cinéma4 novembre 20110Sleeping Beauty

Sleeping Beauty, le premier film de la romancière australienne Julia Leigh, est une dérangeante méditation sur un thème ancestral, Eros et Thanatos, l’amour (dans sa dimension érotique) et la mort (dans sa version sénile).

 Sleeping Beauty, c’est le titre anglais du conte de Perrault « la Belle au Bois Dormant ». Mais aucun Prince Charmant ne vient réveiller Lucy du sommeil artificiel où elle se trouve plongée dans un bordel de luxe où des messieurs très riches et très vieux peuvent faire de son corps ce qu’ils veulent l’espace d’une nuit, à condition de ne pas laisser de marques et de ne pas pénétrer.

 Le film s’ouvre sur une scène de pénétration. Etudiante désargentée, Lucy (Emmy Browning) sert de cobaye à un laboratoire qui insère un tube dans son œsophage et y injecte un liquide non spécifié. Lucy est courageuse. Elle nettoie une salle de bistrot à la nuit tombante. Elle effectue des travaux administratifs dans un bureau. Elle trouve aussi le temps et l’énergie de racoler des hommes aisés et de leur monnayer ses charmes.

 Lucy a un joli petit corps d’une rare blancheur et un joli visage d’ange. Elle sait ce qu’elle veut, est experte dans l’art de draguer et sait se vendre. Lorsqu’une annonce lui fait rencontrer Clara (Rachael Blake), la tenancière d’une maison de plaisir haut de gamme, c’est le jackpot. Son baptême du feu est une soirée dans le style « Eyes Wide Shut », le dernier film de Stanley Kubrick. Dîner et apéritif sont servis par de jeunes femmes aguichantes et dévêtues. Lorsque Clara fait appel ensuite à ses services, c’est pour servir d’objet sexuel endormi aux caprices de messieurs à qui l’interdiction de pénétrer est purement formelle, tant leur grand âge les a rendus impuissants.

 Lucy semble résolue et forte. Mais sa vie à la maison avec sa mère alcoolique et son frère hostile est exempte d’affection. Elle rend fréquemment visite à un homme avec lequel un amour réciproque semble possible, mais c’est un abîme de drogue et d’incommunication qui s’élargit entre eux. Sa dernière nuit chez Madame Clara tourne au cauchemar : lorsqu’elle se réveille, le vieillard à ses côtés est mort, après avoir avalé un poison. La vie de Lucy, sans amour, s’est fracturée, irrémédiablement peut-être.

 Le film de Julia Leigh est profondément dérangeant.  Il navigue au bord du voyeurisme et de la violence, sans y succomber. Il est intentionnellement froid : tout est filmé avec distance, dans une lumière crue, sans musique. C’est surtout le désespoir de Lucy, à l’opposé de l’harmonie de son corps et de la force apparente de son tempérament, qui rend mal à l’aise. Sans nul doute, Julia Leigh a transmis l’émotion qu’elle recherchait.

 Affiche du film « Sleeping Beauty ».

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