La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, a récemment publié son rapport d’activité pour l’année 2016. Elle constate un recul des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Créé il y a dix ans, le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est une autorité indépendante. Le Contrôleur général peut visiter à tout moment, sur l’ensemble du territoire français, tout lieu où des personnes sont privées de liberté. Son périmètre d’activité inclut les prisons, mais aussi les lieux de garde à vue, les centres de rétention administrative ou encore les hôpitaux psychiatriques. Sa mission consiste à veiller à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
Le rapport d’activité 2016 a une tonalité particulièrement sombre. Le CGPL n’a pu que constater un recul des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Je me permets de citer de larges propos de l’avant-propos rédigé par Adeline Hazan, auquel je souscris.
Des restrictions disproportionnées aux libertés individuelles
« Le contexte des attentats terroristes a en effet conduit au vote de deux lois contenant des dispositions très restrictives des libertés individuelles. Si l’on peut comprendre que dans une période exceptionnelle, il soit nécessaire de procéder à certaines restrictions des droits fondamentaux, celles-ci doivent toujours être « nécessaires, et proportionnées », selon les termes de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
« Or, je ne pense pas que ce critère – essentiel – de la proportionnalité des contraintes imposées au nom de la sécurité ait été respecté. Il faut entrer dans la genèse et la philosophie de ces deux textes pour le comprendre. Ainsi, la loi du 3 juin 2016 était à l’origine destinée à simplifier une procédure pénale devenue, estimait-on, trop complexe. Au fil des débats parlementaires, le texte a profondément évolué pour aboutir à un assemblage de dispositions qui concernent aussi bien le crime organisé que le terrorisme, et qui apparaissent fort peu soucieuses du respect de l’équilibre déjà vacillant entre sécurité et libertés individuelles. Le catalogue des dispositions adoptées inquiète. Il convient de les recenser ici. Les conditions et la durée de la période de sûreté ont été élargies ; celles de la libération conditionnelle ont été restreintes ; la « période de sûreté » est devenue applicable de plein droit dans certains cas ; une perpétuité dite « incompressible » a été instaurée pour les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité pour faits de terrorisme.
« Toutes ces dispositions, qui rendent la perspective de libération incertaine, opèrent un profond changement de philosophie dans le régime de l’exécution des peines. Une retenue de quatre heures dans un local de police, sans avocat, a été instaurée pour toute personne ayant fait l’objet d’un contrôle d’identité dès lors qu’il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste ». Ce critère est bien flou, et donc dangereux, dans un Etat qui se veut un Etat de droit. Le régime des fouilles dans les établissements pénitentiaires a subi un recul des droits fondamentaux car désormais celles-ci peuvent être décidées à la suite de consignes générales qui fixent les lieux et les périodes où elles peuvent être opérées, et ce indépendamment des critères liés à la personne détenue elle-même.
Les unités dédiées au terrorisme développées sans garanties suffisantes
« Le placement d’une personne dans une unité dédiée réservée aux personnes détenues mises en cause dans des affaires de terrorisme est désormais formalisé et peut faire l’objet d’un recours. Cette disposition de la loi du 3 juin 2016 fait suite à des observations du CGLPL, en 2015 et 2016, qui critiquait l’absence de statut légal des unités dédiées dont la création revenait de fait à instituer un régime de détention sans base légale. Cependant, les annonces du ministre de la justice le 25 octobre 2016 –interprétées à tort comme la suppression de ces unités dédiées- consacrent en réalité le développement de ces expérimentations, sans les entourer de garanties suffisantes en matière de respect des droits fondamentaux. Quelques mois plus tard, à la suite de l’attentat du 14 juillet à Nice, la loi du 21 juillet 2016 a prorogé l’état d’urgence. Si le contexte pouvait justifier cette mesure, le vote de ce texte a été mis à profit pour adopter des dispositions dépassant largement son objet initial, notamment des mesures repoussées au cours des débats précédents : la limitation des aménagements de peine et l’exclusion des crédits de réductions de peine pour les personnes condamnées pour des infractions terroristes ; l’allongement de la réclusion criminelle de vingt à trente ans pour certaines infractions ; la légalisation de la vidéosurveillance en cellule au sein des établissements pénitentiaires.
« Cette dernière disposition, attentatoire à la dignité et à l’intimité, a été adoptée en termes très généraux à l’intention d’une personne détenue particulière et pourra à l’avenir s’appliquer dans de nombreuses circonstances. Le CGLPL rappelle à cet égard son hostilité de principe à ce dispositif qui ne saurait être généralisé et ne devrait être réservé qu’à des situations exceptionnelles, et en tout dernier recours, non pour satisfaire les attentes de l’opinion publique mais afin de protéger la personne concernée. 2016 a donc été l’année où, dans le contexte tragique d’attaques terroristes sans précédent sur le territoire français, l’évolution de la législation a fonctionné comme une réplique : en réaction à des coups de plus en plus rudes, des lois de plus en plus restrictives des droits fondamentaux ont été votées.
La logique de l’escalade
« Faudrait-il pour se mettre au diapason de la tragédie prendre le risque de renoncer aux valeurs et aux libertés fondamentales ? Je ne le pense pas. Cette logique dangereuse n’est hélas pas nouvelle : c’est celle de l’escalade. On sait bien que l’on s’habitue à ce que des mesures décidées dans des périodes exceptionnelles fassent peu à peu, sans qu’on y prenne garde, partie du paysage et s’inscrivent dans l’arsenal répressif sans plus jamais être remises en cause. On s’en souvient, dès 1986, après une vague d’attentats, un régime d’exception a été instauré, renforcé depuis par plus d’une dizaine de textes, de la loi du 22 juillet 1996 à celle du 23 janvier 2006. Plus récemment, la loi du 13 novembre 2014 a créé un délit d’entreprise terroriste individuelle, et donné des pouvoirs supplémentaires au pouvoir exécutif. Les attentats de janvier 2015 ont été suivis, le 24 juin 2015 par le vote de la loi sur le renseignement qui autorise l’utilisation de dispositifs de surveillance inédits.
« A chaque texte, depuis les controverses qui ont accompagné l’adoption de la loi dite « sécurité et liberté » du 2 février 1981, la question du juste équilibre entre les exigences de la sécurité et la défense des libertés individuelles se trouve au cœur du débat public. Mais elle a pris un tour nouveau au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Une hiérarchisation est intervenue entre les libertés individuelles et le droit à la sécurité, comme si les droits fondamentaux devenaient un luxe que l’on ne pouvait plus s’offrir dans ces périodes difficiles.
Il n’y a pas à choisir entre sécurité et libertés
« Signe des temps, il devient aujourd’hui banal de critiquer une instance pourtant essentielle dans la démocratie, la Cour européenne des droits de l’homme, crée en 1959 dans la cadre du Conseil de l’Europe, en insinuant que celle-ci ferait œuvre d’ingérence dans l’action des gouvernants. Que n’a-t-on entendu ces derniers mois dans la bouche de certains responsables politiques ? Certains n’ont pas hésité à affirmer que si la Convention européenne des droits de l’homme ne permettait pas le placement en rétention administrative des « fichés S », il faudrait s’en exonérer… Est-il nécessaire de le rappeler ? C’est au contraire aujourd’hui, dans ces périodes troublées, que la Cour européenne des droits de l’homme, doit redoubler de vigilance dans un contexte qui menace gravement les droits et les libertés fondamentales. C’est au contraire aujourd’hui qu’il faut réfléchir à un meilleur respect par les Etats des décisions de cette juridiction. Il n’y a pas à choisir entre la sécurité et les libertés. Cette démarche est toxique. Comme l’écrit dans son dernier ouvrage1 Mireille Delmas-Marty, Professeur honoraire au Collège de France, présidente du comité scientifique installé auprès du CGLPL, « La sécurité sans la liberté conduit au totalitarisme, tandis que la liberté sans sécurité mène le monde au chaos ».
« Il me paraît plus grave encore qu’un autre concept vienne aujourd’hui percuter les fondements du droit pénal : celui de « dangerosité ». La mesure de rétention de sureté, instaurée par la loi du 25 février 2008, a pour la première fois supprimé le lien objectif entre infraction et sanction en permettant désormais de prolonger l’enfermement d’une personne au terme de sa peine, pour une durée indéfiniment renouvelable, en raison de sa dangerosité supposée c’est-à-dire de d’une « probabilité très élevée de récidive », notion subjective s’il en est.
La fiche S n’est qu’une fiche à usage interne de la police
« Loin d’avoir disparu de notre législation malgré les engagements en ce sens pris en 2012, cette notion inspire de nombreux discours censés rassurer à bon compte une opinion publique, par ailleurs légitimement inquiète. On a entendu parler de « dangerosité », de « personnes à écarter de la société », de « principe de précaution appliqué à la justice » pour légitimer l’enfermement des personnes fichées S.
« Rien ne nous aura été épargné tout au long de cette année 2016 où nombre de digues ont sauté, alors que la « fiche S » est une simple fiche d’attention à l’usage interne de services de police dont le contenu n’a pas toujours ou pas encore été vérifié et n’a, en tous cas, jamais été validé, ni par une procédure contradictoire, ni par un jugement. Au fond, ne s’agit-il pas d’enfermer le plus longtemps possible tous les individus considérés comme « déviants », le délinquant, le « fou », en occultant le fait qu’il sortira un jour, et que la société, aurait tout intérêt à ce que le temps de la privation de la liberté soit un temps utile ?
La surpopulation carcérale, attentatoire à la dignité des personnes
« Si l’année 2016 a marqué un recul important des droits fondamentaux dans les textes, tel a également été le cas dans la réalité de la vie quotidienne des établissements que le CGLPL a visités tout au long de l’année. La surpopulation carcérale n’a cessé de s’aggraver. Cette question a toujours été dénoncée par le CGLPL comme attentatoire à la dignité des personnes et constituant un traitement inhumain et dégradant au sens de l ‘article 3 de la CEDH. Au 1er décembre 2016 le taux de densité carcérale globale s’élevait à 118 % et celui observé dans les maisons d’arrêt à 141 %. Le garde des sceaux, dans un rapport publié le 20 septembre 2016, « En finir avec la surpopulation carcérale, a parfaitement analysé le phénomène et affirmé la nécessité d’assurer un équilibre entre la construction de nouvelles places et les alternatives à l’incarcération.
« Mais, paradoxalement, c’est aux premières qu’il a affecté la quasi-intégralité des efforts budgétaires. Pourtant, la construction de nouvelles places de prison ne constituera jamais à elle seule une réponse satisfaisante au problème de la surpopulation carcérale. Depuis 25 ans, ce sont près de 30 000 nouvelles places de prison qui ont été créées et pourtant la surpopulation carcérale n’a jamais été aussi importante : la moyenne de 141 % dans les maisons d’arrêt cache des pics de 200 % en Ile-de-France et outre-mer. Le nombre de détenus provisoires (donc présumés innocents), a, quant à lui, dépassé en 2016 le seuil symbolique des 20 000, augmentant de 14 % par rapport à 2015, et représentant désormais le tiers des détenus alors qu’il n’en formait que le quart en 2015. Ce constat infirme les propos régulièrement tenus sur une justice supposée « laxiste ».
La prison doit rester une peine de dernier recours
« A l’inverse, les peines alternatives à l’incarcération sont toujours très insuffisantes, malgré la loi du 15 août 2014 qui n’a pas produit les effets escomptés : 2 300 contraintes pénales ont été prononcées en deux ans au lieu des 8 000 à 20 000 par an prévues dans l’étude d’impact de la loi. Lors des visites effectuées en 2016, le CGLPL a pu observer à quel point le contexte actuel rend les magistrats craintifs sur le prononcé des aménagements de peine.
« La prison doit être le dernier recours, et pourtant, les équipes du CGLPL rencontrent régulièrement des situations dans lesquelles la peine semble dépourvue de sens : des très courtes peines, facteur important de désocialisation et de précarisation et dépourvues d’impact en termes de réinsertion en raison de la surcharge des services pénitentiaires d’insertion et de probation ; des peines exécutées par des personnes dont la vieillesse ou la santé physique ou mentale paraît incompatible avec un maintien en détention, mais qui y restent faute d’alternative. Qu’attend-t-on donc pour engager une réflexion sur le sens des très courtes peines et sur le maintien en prison de personnes dont la santé est très dégradée ? (…)
« Aujourd’hui, du fait de la surpopulation carcérale, la prison ne peut plus assurer la mission de réinsertion que la loi lui assigne. Depuis huit ans, le CGLPL observe que la dimension punitive de l’incarcération domine toujours et que nombre de droits fondamentaux, pourtant essentiels à la réinsertion, sont en régression : les droits à la santé, au travail, au maintien des liens familiaux, à l’expression collective ne sont pas respectés, alors qu’ils constituent le fondement même d’un projet de réinsertion. (…) »