Le 22 janvier 1995, vingt mille personnes, dont beaucoup venues par train spécial de Paris, participèrent dans la cathédrale d’Évreux et sur son parvis à la dernière messe de l’évêque Jacques Gaillot, déplacé par le Vatican dans un diocèse fictif, Parténia.
Jacques Gaillot est récemment décédé à l’âge de 87 ans. Il avait été évêque d’Évreux pendant 13 ans. Il était devenu une personnalité médiatique, en raison de multiples prises de position diamétralement opposées à celles de l’Église catholique. Son éviction fut présentée comme une sanction pour ne s’être pas assez consacré à son diocèse. Elle s’inscrivait dans une politique systématique de nomination d’évêques conservateurs.
Sous les pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI, le message de l’Église perçu par l’opinion publique était principalement de nature sexuelle. Les femmes ne peuvent devenir prêtres ni a fortiori évêques. Les prêtres doivent rester célibataires. La contraception est un péché, l’avortement un crime. L’homosexualité est contre nature. Les divorcés ne peuvent accéder aux sacrements.
On sait le piège redoutable qui se referma sur l’Église, précisément sur ces problématiques sexuelles, lorsque fut révélée l’ampleur des scandales de pédophilie en son sein et l’omerta généralisée. Jacques Gaillot lui-même fut impliqué pour avoir, en 1987, accueilli dans son diocèse un prêtre canadien condamné pour pédocriminalité.
C’est à un recentrage qu’appelait Jacques Gaillot. Jésus s’était attiré l’hostilité des scribes et des pharisiens pour avoir les pires fréquentations : prostituées, collecteurs d’impôts, lépreux. Gaillot bénit des unions homosexuelles, défendit des squatteurs et des sans-papiers, préconisa l’usage du préservatif contre l’épidémie de sida.
Deux décennies après le transfert de Jacques Gaillot de l’évêché d’Évreux au diocèse fantôme de Parténia, l’élection de Jorge Bergoglio au pontificat sous le nom de François fit souffler dans l’Église le souffle évangélique qui animait l’évêque rebelle. Jacques Gaillot : « l’Eglise n’est pas faite pour elle-même. Si elle ne sert pas, elle ne sert à rien. » Pape François : « Le Christ n’est pas à l’extérieur mais à l’intérieur de l’Eglise. Il frappe pour qu’on lui ouvre la porte afin d’aller vers les périphéries du monde. Il veut sortir. »
Mais jusqu’à présent, le pape réformateur a été impuissant à concilier l’organisation et la doctrine de l’Église avec son temps. Beaucoup de catholiques progressistes vécurent le 22 janvier 1995 comme un moment de bascule. Leur église était devenue irréformable. Un exode massif et silencieux allait prendre place, vidant le catholicisme de diversité et de vitalité.