Plusieurs articles parus en septembre et octobre attestent que le débat sur l’interdiction légale du port du voile islamique intégral (burka) a franchi la Manche et préoccupe les Britanniques.
Le parti populiste de droite extrême UKIP voudrait que soit adoptée en Grande-Bretagne une loi bannissant le port du voile masquant le visage, comme c’est le cas en France et en Belgique. Il ne semble toutefois pas que puisse se constituer sur cette mesure l’étrange consensus qui rassemble en France les extrémistes de droite, au nom de la menace musulmane contre l’héritage chrétien, et une large fraction de l’opinion de gauche au nom des valeurs féministes.
A-t-on demandé aux femmes leur avis ?
Les questions que posent des journalistes du Guardian de l’Observer méritent, par un juste retour des choses, d’être prises en compte également de notre côté de l’English Channel.
Dans The Guardian du 17 septembre, Maleiha Malik écrit : « le voile est un sujet de débat parfaitement pertinent dans une démocratie libérale – pour autant que les femmes musulmanes n’en sont pas exclues. » La journaliste observe que, pour une grande partie de l’opinion française, les femmes qui portent la burka sont ou bien des extrémistes, ou bien des victimes opprimées par des extrémistes. C’est pour leur bien qu’il faut les contraindre à s’habiller autrement. A-t-on demandé à ces femmes ce qu’elles en pensaient avant de passer une loi les criminalisant ?
Que de condescendance il y a dans notre attitude, à nous qui pensons savoir mieux que les femmes musulmanes ce qui leur convient vraiment ! Et combien notre attitude rappelle de noires périodes de l’Europe chrétienne, en particulier l’expulsion des Juifs et, déjà, des Musulmans au seizième et dix-septième siècles de l’Espagne catholique !
Quel danger n’y a t-il pas à stigmatiser une partie de la population, incitant des déséquilibrés à s’en prendre à des femmes voilées, rendant eux-mêmes une justice que la Justice est toujours trop lente à rendre ! C’est ce que met en évidence Nabila Randani dans un article de l’Observer du 21 septembre 2013.
Un vêtement de style et de modestie
Zoe Williams de son côté écrit dans le Guardian du 20 septembre que porter le niqab est une question de choix personnel pour les femmes musulmanes. Et dans un article du 26 octobre, Elizabeth Day va plus loin : elle a rencontré des femmes décidées à ce que le vêtement islamique devienne à la fois une affirmation de foi et de mode. Elle cite en particulier Farheen Allsopp, une femme d’affaire et ancien modèle : il faut « célébrer l’abaya (cape) comme un vêtement de style et de modestie tout à fait comme le kimono et le sari dans les cultures japonaise et indienne. ( …) A mes yeux, l’abaya est un vêtement d’expression au lieu d’oppression. »
La campagne publicitaire conçue par Nicola Formichetti pour la marque de vêtements Diesel exprime la même idée de manière provocatrice. L’affiche montre une jeune femme portant l’abaya et le niqab (voile de visage) mais tatouée et nue sous le vêtement. Formichetti exprime de manière provocatrice une double réalité. D’abord, sous le voile existent des femmes en chair et en os, qui ne se résument pas à l’image que porte leur apparence : « je ne suis pas ce que je semble être », dit la légende. Mais aussi, en tant qu’expression d’une culture, le vêtement islamique peut inspirer des créateurs de mode. Et de fait, des designers comme Riccardo Tisci (Givenchy) ou Stéphane Rolland (Valentino) se sont fondés sur l’abaya pour créer des vêtements modernes avec une variété de textiles et d’accessoires.
Le voile islamique provoque de vives réactions parce que son objectif est de retirer le corps féminin du regard des hommes, ce qui change le jeu de la séduction et de la constitution de couples. Il y a là une lourde charge de frustration, d’abord naturellement chez les hommes. Mais légiférer apporte-t-il du bien, ou est-ce nuisible ?
Il faudrait se demander s’il ne serait pas possible de prendre le problème de manière pragmatique : laisser aux directeurs d’établissements d’enseignement et de santé et aux responsables de services publics le soin de décider si, dans leur cas spécifique, le port du voile est de nature à perturber le service qu’ils rendent. Il faudrait d’abord dialoguer avec les responsables de communautés musulmanes pour sensibiliser hommes et femmes à trouver un équilibre entre l’affirmation légitime d’une identité et le trouble possible aux relations avec des non-musulmans.
Le débat en cours en Grande Bretagne jette le doute sur le bien-fondé des politiques menées en France par les présidents de droite et de gauche pour punir les femmes qui portent le voile islamique.