Le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, a récemment annoncé la création de nouvelles places de prison. Dans une interview au Monde (21 septembre), il affirme sa conviction que l’enfermement n’est pas incompatible avec la dignité.
En matière de politique pénale, il propose « une démarche non partisane, qui doit enjamber les élections et les éventuelles alternances » et s’appuyer sur une programmation pluriannuelle.
Comme l’opinion publique est massivement en faveur de l’emprisonnement, le ministre de la justice enterre en silence la loi Taubira de 2014, qui ouvrait la voie à un nouveau type de sanction, la contrainte pénale. Elle ne sera certainement pas abrogée par le gouvernement actuel, mais on la laissera vivoter jusqu’à ce que d’autres scellent son sort.
Il s’agirait donc d’emprisonner, mais d’emprisonner humainement. Le ministre fixe l’objectif d’une prison dans laquelle les prisonniers pourront choisir d’être reclus dans une cellule individuelle ; et dans laquelle ils mèneront pendant la journée une vie pleinement active et socialisée. Il pose même la question du partage des repas, qui sont aujourd’hui pris dans les cellules.
Le ministre pointe un problème crucial : l’oisiveté en prison, dont on voit bien qu’elle est « dedans » le pendant du chômage « dehors ». Il promet un accroissement des crédits aux activités en détention en 2017. Il annonce une amélioration immédiate : le transfert des détenus condamnés des maisons d’arrêt surpeuplées aux centres de détention parfois sous-occupés sera rendu plus facile. Il se dit convaincu que pour les malades psychiatriques coupables d’un crime ou d’un délit, il y a d’autres solutions que l’incarcération, mais sur ce point il ne propose pas d’alternative.
Le ministre pense que, sur cette base, il sera possible de créer un consensus entre droite et gauche et de financer durablement assez de places de prison pour faire face à l’augmentation de la population pénale et généraliser l’encellulement individuel. En réalité, il pourra probablement obtenir un accroissement de son budget pour 2017 « afin de rénover une douzaine de structures existantes et de construire plus d’une quinzaine de nouvelles, ce qui représentera 1 700 places supplémentaires ». Mais le consensus à moyen terme est loin d’être acquis.
Il y aura d’abord un problème budgétaire. Construire des prisons avec des cellules individuelles coûte beaucoup d’argent, surtout si l’on considère que la socialisation des détenus requiert davantage d’espaces communs. Et si l’on accepte que la population pénale ne puisse que s’accroître, il faudra suivre le mouvement. Le ministre estime que « le besoin en maisons d’arrêt se situe entre 9 480 et 14 600 cellules individuelles, selon les hypothèses de croissance du nombre de détenus. » La fourchette est si large qu’on voit mal les décisions se prendre par consensus.
Or, le vrai problème est de savoir si « la croissance du nombre de détenus » est une fatalité que nous devons subir. Pourquoi le nombre de détenus baisserait il aux Pays-Bas et en Allemagne et pas en France ? Pourquoi ne pas s’attaquer, avec les magistrats, au problème des peines si longues qu’elles rendent illusoire la perspective d’une réinsertion harmonieuse des détenus dans la société ? Pourquoi ne pas investir massivement sur la contrainte pénale, alors que l’on sait qu’un délinquant suivi en milieu ouvert coûte trois fois moins cher que s’il est enfermé, et que le taux de récidive est bien plus faible lorsque les liens avec le milieu familial et professionnel sont maintenus que lorsqu’on en est coupé pendant des mois ou des années ?
Jean-Jacques Urvoas connait bien le monde judiciaire et pénitentiaire. Ses propositions sont intelligemment formulées, tentant un équilibre entre la demande croissante de répression et l’exigence de dignité. Il réussira probablement à obtenir des crédits qui sont actuellement cruellement insuffisants. Mais il ne pose pas le problème essentiel : celui de la décroissance du nombre de personnes condamnées à la prison, cette sanction qui devrait rester « de dernier recours ».