Plus haut que la mer

Dans « più alto del mare » (2012), Francesca Melandri raconte la rencontre d’un homme et d’une femme venus visiter un proche dans une prison de haute sécurité en Italie pendant les années de plomb.
La prison a été construite sur une île. Le cadre serait bucolique, baigné de soleil et imprégné de fragrances végétales, si n’y avaient été regroupés, dans des conditions carcérales sévères, des terroristes et des assassins récidivistes.

Le fils d’un des visiteurs décrit ainsi ses conditions de détention : « la chose la plus affreuse de la prison, la privation la plus dure, la plus difficile à supporter, ce n’était pas la contiguïté avec d’autres corps misérables et étrangers. Ni les vexations des matons. Ni les violences, les stratégies et les conjurations entre détenus. Ni les nourritures insipides. Ni l’absence de femmes. Ni les sentiments pourris. La nuit, avait dit le fils, la nuit me manque, surtout. »

L’Île d’Asinara, en Sardaigne, qui abrita une prison de haute sécurité jusqu’en 2010 (source : La Croix)

Ou encore : « le fils fut mis à l’isolement. Pendant des jours. Des semaines. Des mois. Il ne parlait avec quelqu’un que pendant les interrogatoires. Quand finalement il retourna dans une cellule avec d’autres humains et put téléphoner à la maison, il bredouillait comme un vieux. »

Le bateau navette qui relie l’île au continent n’amène aujourd’hui que deux visiteurs.

Luisa vient pour rencontrer au parloir son mari, un homme volent qui a commis un homicide et récidivé en tuant un surveillant dans une autre prison. Il y a dix ans, quand son mari a été arrêté, Luisa s’est retrouvée à devoir gérer seule l’exploitation agricole familiale et à élever leurs cinq enfants. C’est la première fois qu’elle lui rend visite sur l’île. C’est la première fois qu’elle voit la mer.

La vie de Paolo a été ravagée le jour où son fils, après des années de clandestinité, a été arrêté pour avoir assassiné un policier. « Au moins, nous savons où il est », s’est consolée Emilia, la femme de Paolo, avant d’être rongée par le chagrin et le cancer. Paolo rend visite régulièrement à son fils. Il a renoncé, pour cela, à son activité de professeur.

Après les parloirs, c’est l’heure de prendre le bateau. Mais la camionnette qui les ramène à l’embarcadère est accidentée. Ils passent la nuit sur l’île. Ils trouvent refuge chez un surveillant, Pierfrancesco Nitti, et sa femme Maria-Caterina. Depuis des années, celle-ci s’inquiète pour son mari, qui s’enfonce dans la tristesse et le silence à force de violence observée, subie et agie en détention. Elle brûle de lui poser une question simple : « qu’est-ce qui t’arrive ? »

Maria-Caterina se rappelle de son enfance, quand elle tirait de l’eau au puits. « Maintenant, désormais depuis des années, il lui semblait qu’il y était tombé, lui, son Pierfrancesco, dans ce puits. Pour arriver à lui, elle devait donner de plus en plus de corde, de plus en plus bas, et elle craignait le moment où elle se serait révélée trop courte, laissant le sceau pendouiller inutilement dans le vide noir. Le moment où elle ne l’aurait plus rejoint. »

Dessin de Giez

« Transhumances » a rendu compte du premier roman de Francesca Melandri, « Eva dort » (Eva dorme). « Più alto del mare » est un très beau livre sur la manière dont, exposés à des circonstances particulières, des inconnus peuvent, par leur rencontre improbable, se révéler à eux-mêmes. »

Paolo conserve avec lui une coupure de journal où l’on voit la photo d’une fillette inconsolable auprès du cercueil de son père, celui que son fils a assassiné. Après une nuit l’amour, la seule qu’ils passeront ensemble, Luisa fouille son portefeuille : « maintenant, c’est moi qui la porte », dit Luisa.

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