La nécrologie d’Ousama Ben Laden signée le 3 mai par Jason Burke et Lawrence Joffre dans The Guardian est remarquable, tant par son information que par la qualité de son analyse.
Après avoir remarqué que Ben Laden fut l’une des rares figures dont l’action a changé le cours de l’histoire, les auteurs poursuivent : « sa vie fut une vie d’extrêmes et de contradictions. Né au sein d’une grande richesse, il vécut dans une relative pauvreté. Diplômé en ingénierie civile, il assuma le rôle d’un professeur de religion. Propagandiste doué qui avait peu d’expérience réelle de la bataille, il se projeta comme un résistant, un guerrier saint. Tout en appelant à un retour aux valeurs et au système social du septième siècle comme un moyen de restaurer un ordre juste dans le monde d’aujourd’hui, il justifia l’usage de la technologie moderne avancée pour tuer des milliers de gens dans le cadre d’une interprétation rigoureuse et anachronique de la loi Islamique. Tout en étant l’un des hommes les plus célèbres de la planète, Ben Laden vécut pendant des années dans l’obscurité, sa présence publique se limitant à des apparitions intermittentes en vidéo ou sur Internet. Tout en affirmant qu’il avait tout sacrifié pour les autres et ne se préoccupait en rien de lui même, il était férocement conscient de la postérité. »
C’est en effet la contradiction entre une pensée obscurantiste et une organisation résolument moderne qui frappe. El Qaida est une organisation internationale, qui admet des niveaux différents d’adhésion allant jusqu’à la logique de la franchise, qui utilise la technologie d’aujourd’hui et maîtrise la télévision planétaire et Internet. Son projet politique est pourtant rétrograde : la conversion forcée de l’humanité entière à la communauté des croyants des premiers temps de l’Islam.
Après avoir constaté l’échec d’El Qaeda à provoquer un soulèvement mondial des Musulmans et sa faible influence dans le Printemps Arabe, Burke et Joffre concluent ainsi leur excellent article : « l’idéologie de Ben Laden avait été une réponse à l’échec de nombre de projets utopiques précédents dans le monde islamique. Il avait exercé une brève attraction sur certains, en grande partie à cause des actions menées pour s’y opposer. Mais la plupart des Musulmans ont toujours su que quelque chose d’essentiel manquait : la notion de Allah al-rahman w’al-rakhim – Dieu le bienveillant et miséricordieux. Ben Laden avait un jour affirmé « c’est notre devoir d’apporter la lumière au monde ». Pourtant derrière la rhétorique sur la pensée correcte, la justice divine et la rétribution, il n’y avait rient d’autre que l’obscurité ».
Photo « The Guardian » : poster exaltant Ben Laden au Pakistan en 1999.