L’actuel garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas vient de publier chez Dalloz une « lettre du garde des Sceaux à un futur ministre de la Justice : partageons une ambition pour la justice ».
Ce texte dense d’une soixantaine de pages embrasse tous les domaines de compétence actuels du ministère de la Justice. On est frappé par la maîtrise des dossiers dont fait preuve Jean-Jacques Urvoas, ainsi que par la fermeté des convictions qu’il affiche.
Il préconise de rapprocher la justice du citoyen, de la rendre plus efficace grâce à la technologie, de repenser la peine et son exécution, de garantir l’encellulement individuel et la dignité des conditions de détention, de promouvoir une « justice de protection » et de restauration du lien social (la référence à la Justice restaurative est ici explicite), de faire du droit un outil au service de la croissance économique, d’aller vers une Europe de la justice et même d’engager une réforme constitutionnelle pour garantir l’indépendance de la justice.
Des mesures innovantes
Chaque chapitre se clôt par un récapitulatif de mesures concrètes qu’il aimerait voir mises en œuvre par son successeur. Certaines sont innovantes. En voici trois à titre d’exemple. Urvoas propose de renforcer les juridictions de première instance ; un justiciable ne pourrait faire appel que s’il produisait d’autres arguments que ceux déjà exposés en première instance. Autre innovation : confier l’aide juridictionnelle à des « cliniques du droit » dans lesquelles des élèves avocats en formation prépareraient des dossiers validés par des avocats confirmés. Enfin, cette idée de créer un droit des objets connectés, qui pourraient conclure des contrats entre eux sans intervention humaine ; par exemple, un réfrigérateur conclurait un contrat avec un commerçant pour commander des produits de consommation lorsque leur nombre baisse.
La lecture du testament politique de Jean-Jacques Urvoas est stimulante. Arrivé tardivement au ministère, après la démission de Christiane Taubira sur le dossier de la déchéance de nationalité, il a été immédiatement saisi par la grande misère du ministère de la Justice. On le sait, de nombreuses juridictions vivent d’expédients, et peinent à payer experts ou traducteurs. Les infrastructures informatiques sont largement frappées d’obsolescence, au point qu’il est par exemple de plus en plus difficile d’acquérir des pièces de rechange face aux pannes téléphoniques qui se multiplient. Les prisons anciennes dont dans un état de délabrement préoccupant, faute d’un investissement suffisant. En ce qui concerne la construction de prisons, la politique de partenariat public – privé devient insoutenable financièrement : 16.4 milliards d’euros entre 2010 et 2044 pour le seul programme engagé pendant la législature 2007 – 2012.
Faire passer le budget de la Justice de 7 à 8 milliards
Urvoas se réjouit de ce que le budget de la Justice soit passé pendant le quinquennat qui s’achève de 6,2 à 7 milliards d’euros. Il estime qu’il est indispensable de le faire passer de 7 à 8 milliards Le premier chapitre de sa « lettre » s’intitule « vite ! Une loi de programmation pour la justice (2018 – 2022) ».
Cette loi de programmation devrait, selon lui, bénéficier d’un accord trans-partisan. Mais un tel accord semble improbable, tant le sujet de la justice est politiquement clivant. Une promesse du candidat François Fillon, par exemple, est d’amputer le ministère de la Justice de l’administration pénitentiaire, qui rejoindrait le ministère de l’intérieur. On imagine mal, également, qu’un gouvernement dirigé par le parti « Les Républicains », accepte les recrutements massifs de conseillers d’insertion et de probation ainsi que, à la protection judiciaire de la jeunesse, d’éducateurs, de psychologues et d’assistants de service social que l’actuel garde des Sceaux appelle de ses vœux. Jean-Jacques Urvoas lui-même a des mots durs pour la politique de ses prédécesseurs. Il évoque ainsi « la maltraitance infligée à la justice judiciaire pendant le quinquennat de M. Nicolas Sarkozy ».
En introduction de la lettre à son successeur, Jean Jacques Urvoas déplore que « dans l’action ministérielle, il manque toujours du temps. Sans doute d’ailleurs est-ce la marque de notre société. Faut-il alors s’étonner que nos régimes politiques se soient fait une spécialité des demi-mesures, faute de pouvoir bénéficier du recul suffisant pour penser les réformes vigoureuses ? »
Et maintenant ?
Son texte résonne étrangement avec le titre du numéro de mars 2017 de la revue de l’Observatoire International des Prisons : « cinq ans de renoncements, et maintenant ? ». La revue passe au peigne fin les promesses du candidat François Hollande. Abrogation des peines plancher : fait. Abrogation de la rétention et de la surveillance de sûreté : pas fait. Création d’une nouvelle peine de probation autonome : mal fait. Réduire les courtes peines de prison : pas fait. Éviter les sorties sèches de prison : mal fait. Mettre un terme à l’accroissement continu du parc carcéral : ils ont fait le contraire. Mettre un terme aux conditions de détention indignes : mal fait. Abrogation du tribunal correctionnel pour les mineurs : mal fait.
La lettre de l’actuel garde des Sceaux, en se tournant vers les cinq prochaines années, fait l’impasse sur le bilan des cinq dernières. Si le prochain pouvoir était plutôt « centriste », elle pourrait fournir une base sérieuse de travail. S’il était sécuritaire, elle revêtirait a posteriori une tonalité pathétique.
Merci d’attirer l’attention sur ce texte de synthèse. Il est accessible [ici]. Sa dernière partie, sur la nécessaire réforme constitutionnelle, n’est pas la moins importante. Elle démontre bien l’ambiguité de certains politique à l’égard d’une institution qu’il souhaitent contrôler.