Le rapport « Global Trends » publié en janvier 2017 par le National Intelligence Service américain est passionnant. Son sous-titre est « le paradoxe du progrès », lourd de menaces autant que d’opportunités.
Il s’agit d’un travail collectif coordonné par le service de renseignement des États-Unis. Il peut sembler étrange qu’un service habituellement consacré à l’espionnage mette sur la place publique ses réflexions. Gregory Treverton, le président de l’institution, explique que jeter un œil sur le futur est effrayant et incite à la modestie. Il faut encourager des discussions ouvertes et informées sur les risques et les opportunités.
Quelles sont les tendances de fond qui se manifesteront d’ici 2035, l’horizon de l’étude ?
Les riches vieillissent, les pauvres non. La population en âge de travailler va diminuer dans les pays occidentaux, en Russie et en Chine. Mais elle va se développer dans les pays les plus pauvres, en particulier en Afrique et en Asie. Il en résultera de fortes pressions en matière d’emploi, d’urbanisation, de protection sociale. Et naturellement, une pression migratoire.
L’économie mondiale est en train de changer. Le rythme de la croissance mondiale va se ralentir, sous l’effet du vieillissement de la population occidentale et du poids de la dette publique.
La technologie accélère le progrès mais créée des discontinuités. Les différences entre gagnants et perdants (winners et losers) s’accentuent.
Idéologies et identités entraînent une vague d’exclusions. Le populisme va s’accroître à gauche comme à droite, menaçant le libéralisme.
Gouverner devient plus difficile. Dans un monde avec plus d’interdépendances, il devient compliqué pour les gouvernants de satisfaire la demande du public pour plus de sécurité et de prospérité. La technologie multiplie le nombre d’acteurs capables de bloquer ou d’influencer le jeu politique.
La nature des conflits change. Il faut s’attendre à des conflits entre les grandes puissances, dont les intérêts divergent. Et la technologie permettra de perturber plus facilement des sociétés.
Enfin, les questions du changement climatique, de l’environnement, de la santé vont requérir l’attention. Un temps plus extrême, le manque d’eau et de terre et l’insécurité alimentaire vont perturber les sociétés.
Le rapport est globalement pessimiste. Il prévoit pour les 5 ans à venir une forte augmentation des conflits, et n’exclut pas l’usage de l’arme nucléaire par des États affolés incapables de lire la stratégie de l’adversaire.
Il envisage pour le long terme trois scénarios : « Iles » est un scénario dans lequel les gouvernements optent pour le protectionnisme et le repli sur les frontières, avec pour prix à payer une moindre croissance ; « Orbites » explore un futur de tensions créées par des grandes puissances cherchant à étendre leur zone d’influence tout en tentant de de maintenir la stabilité chez eux ; « Communautés » décrit une nouvelle manière de gouverner, selon laquelle les gouvernements centraux perdent de l’importance au profit de gouvernements locaux et d’acteurs privés travaillant en réseau.
Sa rédaction est originale. Le scénario « Iles » est présenté comme écrit par un économiste qui réfléchir sur les 20 ans écoulés depuis la crise de 2008 ; le scénario « Orbites », par un conseiller du National Security Council réfléchissant sur l’environnement international à l’approche de la fin du second mandat du président Smith en 2032 ; le scénario « Communautés », par le futur maire d’une grande ville canadienne qui réfléchit en 2035 sur les changements dont il a été témoin au cours des vingt dernières années.
Le rapport est parsemé de brèves de journaux imaginaires. Le 19 novembre 2018, une cyber-attaque paralyse le commerce en ligne ; le 4 avril 2033, le Bangladesh est le premier pays à propulser une tonne de sulfate en aérosol pour réduire l’effet calorifique des rayons solaires ; le 17 septembre 2021 à Londres a lieu une manifestation violente et une cyberattaque de travailleurs indépendants précarisés…
Le rapport est d’une lecture particulièrement stimulante. Nous avons illustré cet article par des graphiques qui y figurent et sont particulièrement intéressants.