Les derniers hommes d’Alep

Arte TV a récemment diffusé un documentaire bouleversant de Feras Fayyad : « les derniers hommes d’Alep », consacré aux « casques blancs » qui assuraient la protection civile de la cité martyre jusqu’à ce qu’elle tombe entre les mains des troupes d’Assad.

Feras Ayyad, réalisateur âgé de 34 ans, a grandi à Alep. Il est maintenant réfugié au Danemark. Pendant trois ans, de 2013 à 2016, il a suivi une équipe de la Défense civile syrienne, ces « casques blancs » qui se rendaient sur les lieux des bombardements pour tenter de sauver des vies sous les décombres. D’abord présent sur place, il a ensuite utilisé des images que d’autres lui envoyaient de la ville assiégée.

Ce qui frappe dans ce reportage, c’est la furieuse envie de vivre des Aleppins. Entre deux bombardements, ils font leurs courses au marché, tentent d’acheter des médicaments à la pharmacie (en rupture de stock), emmènent leurs enfants jouer au toboggan dans un parc public. Dans leur quartier général, les sauveteurs organisent un vivier qu’ils peuplent de poissons rouges. Les femmes sont toutefois absentes du film de Feras Ayyad. Les hommes parlent d’elles mais elles n’ont pas la parole. C’est dommage : elles auraient beaucoup de choses à dire sur une situation dans laquelle leurs maris risquent leur vie quotidiennement. Khaled, le personnage principal du film, mourra d’ailleurs dans l’effondrement d’un immeuble. Comment son épouse et ses enfants vivent-ils maintenant ?

Intervention des « Casques blancs » sur le lieu d’un bombardement

Pendant le siège d’Alep, les avions d’Assad et de ses alliés russes ont largué des bombes sur les immeubles d’habitation des zones contrôlées par les rebelles. Il ne s’agissait pas de tapis de bombes, comme à Londres en 1940 et à Dresde en 1945, destinés à anéantir une ville. Les maîtres du ciel larguaient « seulement » une vingtaine de bombes un jour, aucune le lendemain. Leur but était d’instiller la terreur : nul n’était à l’abri de voir son logement soufflé, bébés et enfants écrasés sous les décombres, brûlés par les incendies.

Khaled, Mahmoud et leurs camarades, courent vers les lieux du désastre quand la foule les fuit. Inlassablement, ils s’efforcent, sous les ruines, d’extraire des corps, morts souvent, parfois miraculeusement en vie. Ils ont l’énergie du désespoir. Au cours d’une manifestation, Khaled approche un intermédiaire qui lui a proposé, il y a quelque temps, de fuir Alep avec sa famille pour chercher refuge en Syrie. C’est trop tard. Il est pris dans la nasse.

Khaled et ses enfants

Ce qui fait vivre Khaled : des connexions Skype avec ses filles ; une soirée entre hommes militants, au cours desquelles on boit du thé, on chante et on danse ; une cigarette fumée sur un toit d’immeuble parti en fumée ; les actions de sauvetage inlassablement répétées jusqu’à un épuisement proche de l’hébétude.

Le film de Feras Fayyad est profondément sombre. Pour les résistants d’Alep, pour les valeureux sauveteurs, la défaite et peut-être la mort sont proches. Il reste leur fascinant face à face avec le destin, leur volonté de ne tenir bon malgré tout, leur invraisemblable passion pour la vie. Le spectateur acquiert aussi la conviction que les crimes commis contre les hommes d’Alep, leurs femmes et leurs enfants, doivent être, un jour ou l’autre, punis.

Mahmoud

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