Dans « Le Redoutable », Michel Hazanavicius raconte le virage pris par Jean-Luc Godard en 1968.
Le film s’inspire du livre « un an après » d’Anne Wiazemsky, qui fut l’épouse de Godard de 1967 à 1970. Anne (jouée par Stacy Martin) avait 20 ans de moins de Jean-Luc (joué par Louis Garrel). Actrice principale du film « La Chinoise », elle était tombée amoureuse de celui qui était alors au sommet de sa gloire de réalisateur (À bout de souffle, Le mépris…), le maître de la « nouvelle vague ».
En 1967, Jean-Luc Godard est un artiste créatif et plein d’humour. Au cours d’une conférence à ses côtés au Festival d’Avignon, Jean Villard confond « La Chinoise » et « La Tonkinoise » ; Godard lui retourne la monnaie de sa pièce en l’appelant Hervé Villard !
Le film « La Chinoise », qui raconte l’engagement d’une jeune parisienne dans le maoïsme, est mal reçu par le public et aussi par les militants d’extrême gauche. Un doute commence à s’infiltrer dans la tête de Godard.
Surviennent les événements de mai 68. Jean-Luc et Anne participent aux manifestations et aux assemblées générales à la Sorbonne. Hazanavicius évoque avec émotion l’énergie, la jeunesse, les visages, les slogans de cette révolution veille de près de cinquante ans. Il y a une explosion de joie, de vitalité, de créativité.
Il y a aussi, chez certains militants, l’idée que le vieux monde est à rejeter en bloc et qu’une nouvelle humanité naîtra à condition que le passé soit écrasé sans pitié. Pour Godard en proie au doute, cette vision binaire du monde lui permet de se réancrer dans des certitudes : lui et les autres réalisateurs ont fait jusqu’à présent un cinéma de merde ; il s’agit de repartir de zéro.
Il participe à une manifestation à Cannes qui aboutit à l’interruption du festival. Il crée le groupe Dziga Vertov qui entend faire un cinéma directement branché sur la vie, sans scénario, sans acteurs et sans décors, avec une assemblée générale composée de tous les membres de l’équipe du tournage pour décider le matin ce qui se tournera l’après-midi.
Le tempérament de Godard vire à l’aigre. Il insulte copieusement ceux qui persistent à faire un cinéma « révisionniste ». Il se comporte de manière odieuse avec des amis tels que Bertolucci qui l’a invité à Rome. Il développe une véritable paranoïa qui, de soupçons en accusations, mine peu à peu sa relation de couple.
Il y a dans ce film des scènes inoubliables, en particulier celle où, entassés à six dans une 404 pour laquelle on a miraculeusement trouvé de l’essence en pleine grève générale, les protagonistes ne cessent de s’insulter tout au long des 800km entre Cannes et Paris.
Il y a aussi de belles trouvailles : l’utilisation d’une image en négatif au moment où la relation entre Jean-Luc et Anne se révèle définitivement endommagée ; l’utilisation de sous-titres qui expriment les sous-entendus cachés derrière des phrases du genre « passe-moi le sucre » ; ou encore, la répétition tout au long du film du bris des lunettes de Godard, une sorte de métaphore de son aveuglement.
« Le Redoutable » est un film spirituel, drôle et triste, porté par un Louis Garrel exceptionnel et illuminé par la beauté de Stacy Martin.