Peut-on envisager que, dans un futur pas si lointain, la peine de mort soit de nouveau appliquée en France ? Je crains que oui.
Au cours d’un dîner organisé par des amis pour une dizaine de convives, on évoque l’attentat de Marseille. Deux jeunes femmes ont été tuées en gare à coups de couteau par un homme qui a crié « Allah Akbar ». L’homme a été abattu par un policier.
La discussion tourne autour d’une question : n’aurait-il pas été préférable que le tueur soit neutralisé par un tir dans les jambes, arrêté et déféré à la justice ? Un convive exprime une position tranchée : pas de tolérance pour les intolérants. Face à l’agression, pas de faiblesse : il était, selon lui, non seulement légitime mais nécessaire d’éliminer sur le champ le terroriste.
J’émets une objection : nul n’est réductible à ses actes. Il est faux de dire de quelqu’un « c’est un terroriste » ou « c’est un criminel ». Il a certes commis, à un moment donné et dans des circonstances particulières, un acte atroce et abject. Mais comment être sûr que, dans le temps qui lui reste à vivre, il ne regrettera pas son geste, et qu’il ne cherchera pas à se réconcilier avec la société et aussi avec soi-même ?
Cette position est jugée généreuse mais démobilisatrice, et donc dangereuse. Le terrorisme, dit un contradicteur qui exerce la profession de médecin, pose un problème de santé publique. Quand bien même un certain pourcentage d’individus serait récupérable, la société doit avoir le courage d’éradiquer le mal, comme elle éradique les maladies.
C’est ici qu’on en vient à la peine de mort. S’il existe un seuil d’abjection insupportable à la société, celle-ci n’a-t-elle pas le devoir de supprimer celui qui a franchi ce seuil ?
À ce stade du dîner, je rappelle que dans aucun pays, la suppression de la peine de mort n’a entraîné un accroissement des crimes de sang. Cet argument n’est pas contesté, puisqu’il est statistiquement fondé. La question n’est pas, me dit-on, le caractère dissuasif de la peine capitale. C’est après le crime qu’il faut agir. Il s’agit de protéger la société du risque que font courir des hommes irréductiblement mauvais. La manière la plus évidente de les neutraliser est de les retrancher définitivement de la société en leur ôtant la vie.
J’explique que, lorsqu’une société s’arroge le droit de définir qui a le droit de vivre et de retrancher certains de ses membres par décision administrative ou judiciaire, le pire est possible. Dans l’histoire, on a vu des « hérétiques » brûlés et des « communistes » jetés d’hélicoptères, pour ne pas parler de la barbarie nazie. Je suis également convaincu que, pour une société, considérer certains de ses membres comme définitivement irrécupérables constitue un terrible aveu d’échec. Quoi ? Nous ne croirions pas assez en nos propres valeurs pour penser que, avec du temps, de la ténacité et des moyens, on ne pourrait faire changer des personnes ancrées dans la haine de l’autre et de la société ?
Comment réagirais-tu, me demande-t-on, si l’on assassinait l’un de tes proches ? Ne crierais-tu pas vengeance ? Ne serais-tu pas apaisé par le châtiment du coupable ? Cette idée du rachat du sang par le sang sous-tend la mise en scène de l’injection létale aux Etats-Unis : la famille de la victime est invitée à prendre place derrière une vitre et à assister à la mise à mort de l’assassin. Je crois pour ma part que la haine engendre la haine et que tout doit être mis en œuvre pour éviter ce cercle vicieux.
Je retiens de ce dîner entre amis respectueux des arguments les uns des autres que la peine de mort peut revenir en France. Le vent souffle actuellement dans le sens abolitionniste : c’est ainsi que le Front National a récemment retiré la peine de mort de son programme électoral. Mais si les attentats terroristes se multipliaient, l’opinion pourrait s’inverser. Il restera des obstacles au rétablissement de la peine capitale, tels que le risque d’erreur judiciaire ou l’imperfection des techniques de mise à mort. Peut-être ces barrages résisteront-ils longtemps, et même très longtemps ? Combien de temps ?
Pour Cécédille:
Comparaison n’est pas raison: les drones tueurs accomplissent des actes de guerre, pas de justice.
Parmi les obstacles, et non des moindres, au retour de la peine de mort, il y a une série d’engagements internationaux. Les nostalgiques pourraient relire Victor Hugo, en particulier la courte nouvelle « Claude Gueux » que l’on trouve sur Wikisource (https://fr.wikisource.org/wiki/Claude_Gueux). Ceci dit, la peine de mort continue d’être pratiquée par beaucoup d’États, dont le notre, sans autre forme de procès, au moyen des drones tueurs.
j’ajoute que montrer les photos de ces assassins comme tu le fais me parait leur faire un bien grand honneur et va dans leur souhait de rester connu pour la postérité
MON CHER XAVIER
il est certain que si j’avais fait partie de tes amis présents à ce diner débat , tu aurais eu un opposant de plus ….mais ca ne devrait pas te surprendre :
pour moi, tuer cet assassin est la meilleure solution car vouloir le blesser est sans doute techniquement plus difficile ou risqué bien que je ne sois pas le mieux placé pour en discuter :par exemple quid du risque en tirant dans les jambes de rebond de balles sur le sol allant blesser d’autres passants aussi innocents que les 2 victimes du tueur ou de le rater et lui permettre de continuer ….
Mais en outre pour des raisons bêtement économiques et materialistes, le blesser implique :
1–le soigner ensuite à grands frais alors que bien des personnes francaises ne sont pas soignées rapidement faute de place et d’argent à l’hopital
2– mobiliser des effectifs pour « sécuriser » les lieux , l’interroger, cela en général en pure perte de temps puis de l’argent pour le juger (défense juridique, protection quasi militaire du tribunal pour éviter les « incivilités »etc… etc…)
3– l’incarcerer là aussi avec un cout important sur la durée et sans espoir d’évolution positive de l’individu qui de toutes facons devrait ensuite etre renvoyé dans son pays mais avec en revanche des risques supplémentaires qu’il radicalise un peu plus d’autres détenus; j’ajoute que les tentatives de déradicalisation ont montré leur inefficacité malgré là encore des moyens financiers qui y sont affectés
et qui pourraient sans doute plus avntageusement être consacrés à la prévention en amont (surveillance et démantelement des mosquées radicalisées etc…)
bref comme tu vois, je pense que la générosité pour ne pas dire l’angélisme ne sont pas de mise dans de pareils cas de guerre (n’oublie pas qu’ils nous ont déclaré la guerre même si on ne veut pas le comprendre et ce genre de crimes sont des actes de guerre dans leur vision)
Philippe, le rebond de la balle n’est pas un argument sérieux. L’essentiel de cette réflexion de Xavier consiste au fait que la société aurait le droit de tuer au nom de la Justice en rétablissant la peine de mort.
Les risques évoqués par Xavier – cercle vicieux engendré par la haine, erreurs judiciaires, etc – sont plus importants que la notion de vengeance.
L’infracteur a été engendré par et dans notre société. Il est jugé, condamné, accompagné, réinséré par et dans la société qui doit tout mettre en oeuvre pour lui permettre de devenir meilleur et prendre le contrepied de son acte.
C’est la question de l’éducation civique et scolaire, c’est la non-égalité des chances au départ, c’est la rencontre de ‘son guide’ qui élève ou réduit l’autre.