La Fédération Citoyens et Justice a publié le 15 septembre un « livre blanc sur les peines alternatives à l’incarcération, les aménagements de peine et l’insertion des personnes en sortie de prison ».
La Fédération Citoyens et Justice regroupe plus de 150 associations socio-éducatives dans le champ judiciaire. Ses principales missions consistent à représenter ses adhérents auprès des pouvoirs publics, à développer un secteur associatif professionnalisé, à en assurer la cohérence et à soutenir la mise en oeuvre, sur l’ensemble du territoire national des missions socio-éducatives en milieu judiciaire.
Le livre blanc part du constat que « en 26 ans, la capacité du parc pénitentiaire français a cru de 60 % sans pour autant stopper la surpopulation carcérale. Dans le même temps, on ne peut que déplorer la sous-utilisation des alternatives à la détention pour les personnes prévenues et la très faible mise en oeuvre de mesures d’aménagement de peine et d’accompagnement à la sortie pour les personnes condamnées. Il est malheureusement ancré dans les mentalités traditionnelles françaises que sanctionner nécessite de passer par la « case prison ». La justice française suit dans ses pratiques cette opinion. Pourtant la loi pénitentiaire de 2009 faisait véritablement de l’emprisonnement l’ultime recours en matière correctionnelle. »
79 recommandations
Bien que portant en titre « les peines alternatives à l’incarcération », le livre blanc mentionne à peine les innovations de la loi « Taubira » de 2014 : la contrainte pénale et la libération sous contrainte. Ceci s’explique par le fait qu’il part de la pratique des associations membres pour mettre en évidence des problèmes et recommander des solutions. Or, celles-ci sont peu actives dans l’application de ces nouvelles peines.
Le livre blanc distingue les peines alternatives à l’incarcération (travail d’intérêt général et sursis avec mise à l’épreuve) et les aménagements de peine (placement à l’extérieur, semi-liberté, placement sous surveillance électronique et libération conditionnelle). Il consacre aussi un chapitre au travail effectué par des associations socioéducatives en détention, puis avec les personnes libérées, pour l’accès aux droits, le logement, le maintien du lien familial et l’accès aux soins.
Il formule 79 recommandations, dont beaucoup vont dans le sens d’un renforcement de l’accompagnement socio-éducatif. Certes, celui-ci coût cher. Mais en favorisant la « désistance » de la délinquance, il évite à la société le coût des délits et de la prison. Dans le domaine des peines alternatives, le livre blanc indique que le travail d’intérêt général (TIG), qui existe depuis plus de cinquante ans, ne représente que 7% des peines prononcées et que le nombre d’augmente pas. Or, plus des trois quarts des TIG se déroulent sans incident, et que le pourcentage monte à 85% de succès quand il débouche sur un emploi.
Le bracelet électronique, mesure privilégiée par les magistrats
Dans le domaine des aménagements de peine, Citoyens et Justice souhaite que le placement à l’extérieur, de loin la mesure la plus efficace mais qui ne représente que 7% des mesures prononcées, soit davantage utilisé : 27 associations y sont impliquées et offrent 355 places, mais elles connaissent des difficultés financières croissantes.
La semi-liberté ne représente que 14% des aménagements de peine. Ce que préfèrent les magistrats, c’est le placement sous surveillance électronique. Il représente 80% des aménagements de peine. Actuellement, 11 000 personnes condamnées portent un bracelet électronique ; leur nombre était de 2 500 il y a 10 ans. Le livre blanc explique les raisons de cet engouement : la personne est « détenue chez elle » et surveillée en permanence ; le coût de la mesure, qui n’inclut généralement pas d’accompagnement socio-éducatif, est plus faible que celui de la prison ou d’un placement extérieur.
Un témoignage sur la sortie de prison
Le livre blanc donne fréquemment la parole à des associations membres de la Fédération. C’est ainsi que « Espérer 95 » explique la situation d’un détenu libéré après une longue peine. Son témoignage mérite d’être cité.
« Dès la sortie de détention, nous pouvons constater la difficulté éprouvée par ces personnes face aux grands espaces. Durant des années, les personnes ont eu une vision limitée, il y a toujours eu un mur pour arrêter le regard. Se retrouver soudain face à un espace sans fin, sans délimitation peut être difficile à gérer voire angoissant. A titre d’exemple, Monsieur V. à sa sortie de détention (après dix-sept ans de prison) a souhaité s’arrêter lors du trajet en voiture pour faire quelques pas dans un champ. Il a fait à peine quelques mètres et s’est retrouvé les jambes tremblantes ne pouvant plus avancer. Il avait la tête qui tournait et avait du mal à respirer. Il lui a été nécessaire de passer par quelques étapes avant de se retrouver de nouveau face à un tel espace sans limite.
Nous avons pu aussi remarquer à quel point le rythme de vie est devenu ritualisé durant les années de détention et la façon dont celui-ci se répercute à l’extérieur. L’heure des repas, du lever et du coucher sont toujours les mêmes durant la détention. Les vies sont rythmées par l’ouverture et la fermeture des cellules, les horaires de l’atelier ou de promenade. Une fois dehors, nous constatons que les personnes sont rassurées par cette constante. Monsieur R., a fait trente-sept ans de détention, après deux ans dehors, il mange toujours à 18 h 45 le soir, comme en détention. Il a conservé les rituels qui lui ont permis au quotidien de rythmer sa détention. »