L’évaporation de la force de travail masculine aux États-Unis représente un vrai problème de société. Un sociologue l’impute en partie au passage d’une part significative de la population américaine par la prison.
« Transhumances » a récemment consacré un article à la diminution constante du pourcentage d’hommes américains présents sur le marché du travail. Un journaliste l’expliquait en partie par la fascination des jeux vidéo pour de jeunes adultes qui, à l’âge de se frotter avec les contraintes et les opportunités d’un premier emploi, préfèrent rester dans le cocon familial tout en s’évadant dans un monde virtuel.
Dans la Milken Institute Review (28 avril 2017), Nicholas Eberstadt rappelle le paradoxe des États-Unis. Le taux de chômage est inférieur à 5%, et pourtant un fort mécontentement social s’exprime parmi les hommes blancs, qui a conduit à l’élection de Donald Trump. C’est que 7 millions d’hommes entre 25 et 54 ans ne cherchent plus à travailler.
En 1948, le taux d’emploi pour les hommes de 20 ans et plus était de 85,8%. Il n’est plus que de 68,2% actuellement. 22% des hommes de 20 à 64 ans ne sont pas engagés dans un travail rémunéré de quelque nature que ce soit. Ces hommes ne s’inscrivent pas au chômage. Ils sont simplement en marge de la société.
Eberstadt attribue une bonne part de ce déclassement à l’usage massif que la société américaine fait de la prison. S’appuyant sur une étude de sociologues portant sur les années 1948 – 2010, il estime que 20 millions d’Américains actuellement en vie ont été, dans leur vie, l’objet d’une condamnation pour un crime ou un délit et que beaucoup d’entre eux sont passés par la case prison. Il rappelle qu’environ 2,5 millions de personnes sont actuellement incarcérées aux États-Unis, même si l’on assiste actuellement à un reflux de la population carcérale.
En incluant les personnes actuellement détenues ou en probation, un adulte sur huit a été condamné au moins une fois dans sa vie pour un crime ou un délit. Les personnes ayant été condamnées représentent 6,4% de la population adulte générale du pays, et 25,4% des Afro-américains ; ces pourcentages sont respectivement de 2,2% et 10,4% si on prend en compte celles qui sont passées par la prison.
Or, Eberstadt établit une corrélation entre le fait d’avoir été arrêté ou incarcéré et l’exclusion du marché du travail. Dans la population générale, le taux d’hommes hors du travail s’établit à 6%. Ce taux passe à 13% pour ceux qui ont été arrêtés au moins une fois, et à 20% pour ceux qui ont été incarcérés (27% dans la population noire). Quand on sait qu’un quart des postes de travail requièrent la production d’une « occupational license » (l’équivalent d’un casier judiciaire vierge), on mesure la réalité de ce phénomène d’exclusion.
D’autres phénomènes expliquent cette mise hors-jeu d’un nombre considérable d’hommes : l’accès des femmes à des postes autrefois considérés comme typiquement masculins, l’instauration d’aides sociales permettant de vivre sans revenus, la diffusion des drogues. Mais il est probable que la désocialisation par la prison de personnes déjà fragiles joue un rôle majeur dans la constitution de cette armée de marginaux, en général invisible, mais génératrice d’un malaise social croissant.