Dans « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » (Editions du Seuil, 2016), Rachid Benzine imagine un échange de courriers entre un père, islamologue dans une université d’un pays arabe, et sa fille Nour, partie faire le Djihad à Falloujah en Irak.
Nour et son père ont toujours vécu une tendre proximité : elle est enfant unique, et sa mère est décédée quand elle avait cinq ans. Pourtant, en 2014, âgée de vingt ans, elle s’envole pour l’Irak, s’installe à Falloujah, épouse un combattant de l’État islamique, s’enthousiasme pour les conquêtes fulgurantes du Califat malgré la disproportion des forces avec l’occident.
La première lettre de Nour à son père date du 29 avril 2014 ; la dernière, du 22 novembre 2016. Pendant ces trente mois, malgré une circulation du courrier de plus en plus difficile, le père répondra à sept lettres de sa fille.
« Grâce à toi, écrit Nour dans sa première lettre, je me suis imprégnée de toutes ces valeurs auxquelles tu crois : la liberté, la démocratie, l’égalité entre tous les humains, l’émancipation des femmes, la justice et la bienveillance envers les pauvres. Et tu m’as enseigné aussi l’islam. Tu m’as dit : la religion n’enferme pas : elle libère la vie.
« Tu m’as dit : « n’aie pas peur de prendre les chemins de la subversion car le message d’Allah, gloire à Lui, est un message d’insoumission. » Eh bien, j’ai choisi ma voie comme tu avais toujours désiré que je le fasse. Ce n’est sans doute pas la voie que tu aurais voulue pour moi, c’est vrai… »
Nour croit avoir rejoint une communauté de frères et de sœurs immune des perversions de l’occident. Le Califat a pris le parti des pauvres et des humiliés. Il a engagé le combat. Nour appelle son père à rejoindre sans attendre ce combat. Elle lui reproche son activité d’islamologue, « préférant la poésie à l’action, les livres au glaive qui doit faire justice ». Elle a pour son père des mots terribles : « Tu crois rechercher humblement la vérité du Coran, mais en réalité ta démarche n’est que le fruit de l’abandon à des idéaux importés. La vaine quête d’un lâche. »
Le père de Nour évoque les massacres perpétrés par Daesch à l’égard de zaïdites, de chrétiens ou de chiites. Il évoque le formidable cri d’amour et d’humilité que constitue le « Allahou akbar », Dieu est plus grand que nous. « Mais de cet appel à l’humilité, vous avez fait un hurlement de haine, de suffisance, d’orgueil imbécile et ignoble. Quelle caricature ! » Et le père de renvoyer à sa fille l’accusation de lâcheté : « la haine est la colère des lâches ».
Nour résiste : elle évoque les crimes commis par les armées occidentales à l’encontre des populations arabes et musulmanes. « Face à un Occident tout-puissant, il faut parfois agir salement. »
Dans son pays, le père est suspecté d’appuyer clandestinement les terroristes, mais aussi agressé pour sa volonté d’appliquer au Coran l’interprétation critique ; à Falloujah, les frères et sœurs de Nour découvrent qu’elle est la fille d’un « apostat ». Dans l’épreuve, les relations entre le père et la fille surnagent et se transforment.
Le livre de Rachid Benzine est une ode à l’ouverture d’esprit, au questionnement, au métissage, à la construction de ponts au lieu de murs. C’est aussi un hommage à l’humour, qui fait écho au Nom de la Rose d’Umberto Eco. « Les Juifs, qui ont été maltraités depuis plus de deux mille ans, ont réussi à produire le plus riche des humours du monde. L’absence d’humour : voilà le grand handicap des islamistes ! Il leur manque la culture, l’humour et la tendresse. Quant à imaginer qu’ils puissent être capables d’autodérision… Ils ne rient que des autres, avec mépris. »