La Villa

Dans le film « La Villa », Robert Guédiguian évoque une fratrie portée dans sa jeunesse par les idéaux de soixante-huit mais qui, arrivée à la soixantaine, se demande que faire du reste de sa vie.

Angèle (Ariane Ascaride) et Joseph (Jean-Pierre Darroussin) reviennent à la villa familiale à la suite d’un AVC qui a frappé leur père et l’a laissé muet et infirme. Ils y rejoignent Armand (Gérard Meylan) qui y habite encore et gère le restaurant bon marché créé par leur père au rez-de-chaussée.

Maison et restaurant se trouvent au fond d’une calanque tranquille près de Marseille, troublée seulement par le passage de trains sur un viaduc. Ils ont été construits par une bande de copains dans l’esprit de 1968.

 

C’est un sac de nœuds que chacun des membres de la fratrie porte avec lui. Angèle trouve, dans son métier d’actrice et les épuisantes tournées, un échappatoire au souvenir oppressant de la noyade de sa petite fille, vingt ans auparavant, alors qu’elle l’avait laissée à la garde de ses frères.

Joseph a fait le deuil de ses ambitions révolutionnaires de jeunesse, de son désir de s’établir en usine, du roman qu’il n’a jamais écrit. Il s’est rangé et a été dérangé par un brutal licenciement. Sa compagne Bérangère (Anaïs Demoutier), beaucoup plus jeune que lui, le quitte.

Armand vivote. Le quartier dans la calanque s’est gentrifié. Il n’y a plus de place pour un restaurant populaire.

Paralysée par le ressentiment, Angèle n’est pas revenue à la villa depuis 20 ans. La déclaration d’amour d’un marin féru de théâtre (Robinson Stévenin), la lecture d’un manuscrit de Joseph qu’elle n’avait jamais eu en mains et l’arrivée inopinée de trois enfants réfugiés dont le bateau s’est fracassé sur les récifs vont rebattre les cartes et mettre en mouvement Angèle et ses frères. Ils étaient crispés sur un passé à jamais enfui. Ils entrevoient un avenir possible, ici, dans la villa.

Le film de Guédiguian souffre d’une exagération des personnages et des situations. L’échouage de réfugiés dans une calanque de Marseille est aussi peu vraisemblable que l’impuissance de l’armée à trouver les enfants rescapés. Le personnage joué par Darroussin est outrageusement cynique et désabusé. Un couple de vieux, amis de la famille, se suicide, mais leur sort est passé par pertes et profits sans qu’on envisage de les inhumer dignement.

« La villa » n’est pas le meilleur film de Guédiguian. Je l’ai néanmoins aimé. L’étroite calanque où se niche la villa fournit au drame son unité de lieu, comme une scène de théâtre. Les personnages muent (ou transhument !) d’une posture psychologique à l’autre ; peu de choses se passent, et pourtant le chemin parcouru est immense.

La scène finale est magnifique : la sœur et ses deux frères crient à tue-tête sous le viaduc, qui renvoie leur écho ; la grande sœur réfugiée et ses deux petits frères crient aussi, et leurs voix se mêlent aux leurs. Ce vacarme semble ramener à la conscience le patriarche.

J’ai revu ce film sur France 3 en octobre 2021. J’ai été sensible aux mains croisées : celles du vieux couple amoureux qui se donnent la mort ensemble en se donnant par la main, pour que l’un ne vive pas dans l’enfer d’une vie sans l’autre ; celles des deux petits garçons immigrés qui ne peuvent se détacher l’un de l’autre. Par respect pour eux, on découpe leurs vêtements pour pouvoir les habiller de neuf.

J’ai été aussi touché par la transformation d’Angèle, magnifiquement interprétée par Ariane Ascaride. Pour accueillir les petits immigrés, elle leur cherche des vêtements dans la chambre de sa fille morte, et c’est pour elle comme un retour à la vie. Après avoir vigoureusement refusé les avances de Benjamin, son amoureux transi, elle vient, pudiquement, s’offrir à lui.

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