Dans « Meurtres pour rédemption » (2006, actuellement édité par Fleuve Noir et, en livre de poche, par Planet), Karine Giébel fait plonger le lecteur, au fil de 767 pages, dans l’enfer sur terre, dont l’un des versants est la prison. L’amour est-il possible ? Peut-on racheter une vie souillée par le sang versé et rongée par la culpabilité ?
Marianne de Gréville, une petite jeune femme de 21 ans, présente des caractéristiques qui font d’elle une grenade dégoupillée : une haine à fleur de peau, enracinée dans une enfance malheureuse ; un don exceptionnel pour les arts martiaux.
Lorsque commence le roman, elle a été condamnée à la prison à perpétuité pour un braquage qui s’est conclu en meurtres ; elle a été transférée d’une maison centrale à une maison d’arrêt pour avoir assassiné une surveillante.
La prison décrite par Karine Giébel est régie par la loi de la jungle. Il n’existe aucune médiation, ni conseillers d’insertion et de probation, ni psychologues, ni animateurs culturels, ni bénévoles. Plusieurs fois, Marianne est l’objet de tortures infligées par des surveillants qui entendent se venger de l’assassinat de leur collègue et jouissent de la voir souffrir.
Quelques êtres purs existent cependant, comme Justine, une surveillante qui a su discerner en Marianne autre chose que « la criminelle ». Daniel, le chef de détention, est, lui aussi, un homme droit. Certes, il n’hésite pas à utiliser la manière forte. Dans le but de tenir Marianne sous contrôle, il passe avec elle un marché : un comportement calme et des fellations contre du tabac et de l’héroïne.
Peu à peu cependant la relation de Daniel et Marianne évolue du commerce vers l’amour, puis l’amour passionnel. Cet amour en viendrait presque à donner du sens à la vie sans espoir de Marianne. Mais il est clandestin et fragile, à la merci de dénonciations malveillantes.
Des agents spéciaux ont repéré Marianne pour ses qualités exceptionnelles de guerrière sans pitié, son endurance à la souffrance, sa résilience. Ils passent avec elle un marché. Si elle abat une personne qu’on lui désignera, elle pourra s’enfuir à l’étranger sous une fausse identité et vivre libre.
À l’enfer des cachots où les surveillants s’autorisent à frapper et à violer succède l’enfer du mensonge, encore plus violent que la violence physique. Les agents spéciaux qui organisent l’évasion de Marianne ne cessent de la tromper. Eux-mêmes sont manipulés par des hommes politiques pressés de cacher leurs propres turpitudes, fût-ce au prix de la mort d’innocents dont le seul tort est d’avoir appris un bout de la vérité.
« Meurtres pour rédemption » est un roman remarquable à plusieurs égards. C’est un livre dur et noir dans lequel les récits de torture et de meurtre se répètent avec une inlassable cruauté. On pourrait dire « une cruauté indicible », mais c’est justement un mérite du roman que de ne rien masquer des ecchymoses, des membres cassés, de l’humiliation imposée et subie, de la terreur de celui ou celle qui va mourir, bref de « dire » l’enfer sur terre. On en parle souvent comme d’une réalité abstraite. L’auteure y met de la chair, de la chair martyrisée.
La deuxième qualité du roman de Karine Giébel est qu’il montre l’évolution de la psychologie des personnages. Certes, les surveillants Petrotti et Portier sont des brutes incorrigibles, aveuglées par la jalousie et la haine, jouissant sans retenue de la souffrance qu’ils infligent. Mais Marianne, Daniel et Franck, le chef des agents spéciaux, changent dans leur compréhension d’eux-mêmes et dans leurs relations aux autres. Marianne en particulier, monstre criminel aux yeux de la Justice et de l’opinion publique, se sent rongée par la culpabilité pour les crimes commis, se prend d’amitié pour la femme infanticide qu’on lui a imposée comme codétenue, se découvre capable d’aimer un homme et d’en être aimée, et aussi de sacrifier sa vie pour celle d’une petite fille.