« L’ordre du jour », roman d’Éric Vuillard, a reçu le prix Goncourt 2017. Il montre « comment les grandes catastrophes s’annoncent souvent à petits pas ».
L’ordre du jour est celui que dictent Hitler et Goering aux voisins autrichiens qu’ils annexent à coups de menace et de bluff et aux pays occidentaux prêts à toutes les compromissions pour sauver le mensonge de la paix.
Le livre d’Éric Vuillard est court : 150 pages seulement. Il se focalise sur quelques dates. Le 20 février 1933, 24 patrons d’industrie allemands sont convoqués par les Nazis et invités à cotiser pour la lutte contre le communisme, ce qu’ils font sans barguigner. Le 12 février 1938 se déroule dans le nid d’aigle d’Hitler « la scène la plus fantastique et grossière de tous les temps » : le chancelier d’Autriche Kurt van Schuschnigg consent à la prise de pouvoir nazie à Vienne. Le 12 mars, l’armée allemande envahit l’Autriche sans tirer un coup de feu. Le 15 mars, Hitler proclame l’Anschluss. Le 29 septembre sont signés les accords de Munich entre Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier.
La force de Vuillard, c’est qu’il se concentre sur le détail d’un moment « pour en saisir le fond d’éternité ».
Voici Hitler devant Schuschnigg, hurlant, vociférant. « Le corps est un instrument de jouissance. Celui d’Adolf Hitler s’agite éperdument. Il est raide comme un automate et virulent comme un crachat. Le corps d’Hitler doit pénétrer les rêves et les consciences, on croit le retrouver dans les ombres du temps, sur les murs des prisons, rampant sous les lits de sangles, partout où les hommes ont gravé les silhouettes qui les hantent. »
« L’ordre du jour » est un livre profondément pessimiste. Les descendants des 24 bienfaiteurs du parti nazi de 1933, ces chefs d’industrie qui utilisèrent sans état d’âme la main d’œuvre esclave d’Auschwitz, furent les capitaines d’industrie de l’après-guerre : Thyssen-Krupp, Siemens, Opel, etc.
L’invasion de l’Autriche fut un coup de poker : les panzers tombèrent en panne, créant un énorme embouteillage. Mais, dit Vuillard, les seules images disponibles étaient celles tournées par les caméras de Goebbels. Le monde ne résiste pas au bluff.
Quant à Schuschnigg, il s’inventa une seconde vie après la guerre comme respectable professeur dans une université catholique américaine : son passé de milicien catholique, son régime dictatorial, sa lâcheté face à Hitler furent oubliés.