Otrante, ville portuaire de la région des Pouilles, n’est qu’à 80 kilomètres des côtes albanaises.
La ville d’Otrante a subi de nombreuses incursions de l’empire ottoman, la dernière, en 1480, ayant abouti au massacre de nombreux habitants et à une année d’occupation. D’imposantes fortifications, bâties sur l’ordre de Charles Quint, témoignent de son importance comme rempart de la chrétienté.
Le monument le plus remarquable de la ville est sa cathédrale, dont le pavement a été réalisé entre 1163 et 1165 par un prêtre, Pantaleone. Autour d’un arbre de vie qui se développe sur toute la longueur de la nef, l’artiste a représenté en mosaïque des épisodes bibliques, les signes du zodiaque, des scènes de la vie quotidienne des agriculteurs de la région.
Le sentier littoral qui mène d’Otrante au phare qui marque le point le plus à l’est de la Péninsule italienne est particulièrement agréable. De petites criques permettent de se baigner dans une eau cristalline, en faisant attention toutefois de ne pas se couper aux rochers.
Près du port de plaisance, un curieux monument rappelle l’abordage par un navire de la marine italienne en 1997 d’un rafiot albanais, le Kader I Rades. 81 personnes, dont des femmes et des enfants, périrent. La carcasse du rafiot fut ramenée à flot pour l’enquête. Un artiste grec, Costas Varotsos, l’utilisa en 2012 comme support d’une Œuvre à l’Humanité Migrante. Les tôles rouillées portent des feuilles de verre fracturées, symboles de notre monde brisé : ici la prospérité, là (y compris dans les banlieues sordides au cœur de zones prospères), la misère et le désespoir.
On sait que l’immigration a joué un rôle important dans l’élection en mars d’un Parlement italien dominé par l’extrême droite et le Mouvement 5 Etoiles. Dans les villes des Pouilles et de la Basilicate, on trouve de nombreux émigrés sub-sahariens qui ont échappé aux contrôles et à la rétention. Certains se sont intégrés : un serveur de bar à Lecce, une pharmacienne à Ostuni.
Dans le quotidien La Repubblica » du 8 juin, Roberto Saviano, auteur de Gomorrha, revient sur l’assassinat le 2 juin de Soumayla Sacko, Malien de 30 ans, à San Callogero en Calabre. Soumayla venait chercher des tôles dans une usine désaffectée pour améliorer une maison dans un bidonville voisin. L’usine avait été mise sous scellés en raison de l’entreposage, par la mafia locale, d’une quantité de produits toxiques, environ 130 000 tonnes, entre 2000 et 2007.
Soumayla a été tué de deux coups de fusil dans la tête. L’auteur présumé de l’assassinat est Antonio Pontoriero. Fils d’un ancien gardien de l’usine, quand elle fonctionnait, il s’était arrogé une sorte de droit de propriété sur le site et de vie et de mort sur ceux qui y pénètreraient. Soumayla Sacko, syndicaliste, disposait d’un titre de séjour et de travail en Italie.
Voici ce qu’écrit Saviano : « J’ignore si ce qui arrive est suffisamment clair. À mesure que la société civile et politique abandonne les immigrés, laissant un vide, la criminalité organisée s’occupe d’eux, les enrôle quand elle le peut, les réduit en esclavage quand cela lui convient. Le sud est une histoire d’espaces vides et pleins : la logique est la même pour tout, pour la terre et pour les hommes. La terre abandonnée devient décharge, les migrants démonisés, isolés et dans l’attente d’être chassés, deviennent pour les mafias des proies désarmées (…)
Aujourd’hui, nous devons être aux côtés des communautés migrantes. Nous devons devenir garants de leurs droits comme êtres humains et comme travailleurs. Leur dignité est notre dignité. Leur vie est notre vie. Si nous ne le faisons pas nous-mêmes, le vide que nous laissons sera rempli par des organisations criminelles qui vendent à l’Etat leur capacité à dompter, par la violence et les abus, quelque requête possible et sacrosainte de droits et de dignité. »
Merci pour tes articles remarquables sur l’Italie du Sud et qui me donnent l’envie d’y retourner 30 ans après !
J’espère que vous allez tous bien.
bernard