Le roman « Patria o Muerte » d’Alberto Barrera Tyszka, traduit en français sous le titre « les derniers jours du Commandant » raconte l’étrange atmosphère qui régna au Venezuela à partir de la révélation du cancer du président Hugo Chavez en juin 2011 jusqu’à son décès le 18 février 2013.
Au pouvoir depuis 1999, Chavez « avait refondé l’Etat et le pays comme un système que ne fonctionnait qu’en tournant autour de lui, en prononçant son nom ». Sa maladie, et son mutisme alors qu’il était autrefois capable de parler des heures à des foules hypnotisées, créa un vide vertigineux. Le pays, dit Barrera Tyszka, s’était transformé en salle d’attente, en couloir d’hôpital bruissant de rumeurs et de questions.
L’auteur parle de société pré-apocalyptique, d’une nation en conflit, toujours au bord de l’explosion. Il y a les anti-chavistes, ceux que le pouvoir qualifie de « escálidos » (décharnés), qui dénoncent la priorité des fables sur les faits et la corruption des dirigeants, particulièrement les militaires qui ont transformé le pays en caserne et détournent des milliards. Et d’un autre côté, ceux qui appuient inconditionnellement le président-Commandant.
L’un d’entre eux, arrivé à la soixantaine, voit dans la révolution bolivarienne la réalisation de ses idéaux de jeunesse : le gouvernement proposait « une sorte de parc thématique des années soixante ».
On croise dans le livre trois femmes d’un quartier populaire de Caracas ; leur business consiste à occuper des logements dont les propriétaires veulent expulser les locataires. L’une d’elles raconte que, petite fille, la maîtresse de maison d’une famille bourgeoise avait refusé de lui servir de l’eau dans un verre : elle lui avait donné un gobelet en plastique. C’est le regard que nous portons sur nous-mêmes et que nous portons sur les autres, les riches, dit-elle, que le président a changé.
Il y avait toujours eu une composante mystique au chavisme. Dans le slogan « la patrie ou la mort », le défi à la mort constituait une posture indubitablement spirituelle. Mais à mesure que le président s’approchait lui-même de la mort, la religiosité prit le premier rôle. L’auteur cite Chavez lui-même « Donne-moi vie, Christ, donne-moi ta couronne, donne-moi ta croix, donne-moi tes épines, moi je saigne mais donne-moi vie, ne m’emporte pas tout de suite parce que j’ai encore beaucoup de choses à faire. » Et l’auteur de commenter : « le président devint muet, la voix réduite au silence commença à être remplacée par le mythe (…) Un nouveau produit religieux : voici le Christ des pauvres. »
« Patria o muerte » n’est pas un essai, mais un roman dont les personnages ont une vraie épaisseur humaine et sont impliqués dans une vraie intrigue.
Miguel Sanabria, un oncologue à la retraite, reçoit de son neveu un colis embarrassant : les dernières paroles de Chavez, enregistrées à son insu sur un téléphone portable alors qu’il était soigné à Cuba.
L’appartement situé en dessous du sien est habité par Fredy, un journaliste qui projette d’écrire un livre qui dise la vérité sur la maladie du président et est prêt à tout pour obtenir des renseignements : tout, y compris contracter un mariage blanc avec une Cubaine, alors qu’il vit avec Tatiana et leur fils Rodrigo.
Rodrigo est en contact par internet avec Maria, une fille âgée, comme lui, d’une dizaine d’années. La mère de Maria vit dans la terreur permanente des bandes qui sévissent dans le quartier et peuvent tuer pour arracher un sac à mains. Possédée par la peur, elle a transformé leur appartement en camp retranché, allant jusqu’à retirer sa fille de l’école. Rodrigo et Maria seront eux aussi porteurs, malgré eux, du secret de la mort de Chavez.
Le moment de crise existentielle que vit le pays se répercute directement sur la vie des individus, quel que soit leur âge et leur milieu social.