Dans « Au revoir là-haut », Prix Goncourt en 2013, Pierre Lemaître a rédigé un récit haletant, imprégné de cynisme et d’humour noir.
Pour sortir en héros de la guerre qui s’achève (nous sommes en novembre 2018), le capitaine Aulnay-Pradelle n’hésite pas à tuer dans le dos deux hommes envoyés en éclaireurs. Il suscite ainsi le désir de vengeance de ses troupes face aux « boches » auxquels elles attribuent la mort de leurs camarades. Elles auront ainsi le courage de partir pour un ultime assaut des positions ennemies.
Deux ans plus tard, reconverti en homme d’affaires, Pradelle obtient l’adjudication de l’inhumation et du transfert dans des nécropoles des corps de soldats morts au front. Son objectif est de faire fortune rapidement pour restaurer le manoir familial tombé en ruines. Il commande des cercueils d’un mètre trente (ce qui imposera de tronçonner les cadavres), embauche des ouvriers analphabètes, ne met en place aucune organisation pour assurer aux proches des héros morts que c’est bien leur fils ou leur frère qui gît dans la tombe marquée à son nom.
Albert Maillard a failli mourir étouffé dans un trou d’obus lors de l’offensive déclenchée par Aulnay-Pradelle. Il est sauvé in extremis par Édouard Péricourt. Celui-ci est atteint à son tour par un éclat d’obus, qui lui arrache la mâchoire.
Les relations d’Édouard avec son père ont été calamiteuses. Ce dernier rêvait d’un fils capable de prendre le flambeau de ses affaires financières et de ses relations politiques. Édouard a l’âme d’un artiste, il est efféminé, perpétuellement révolté.
Avec l’aide d’Albert, il plonge dans l’identité d’un soldat mort. Devenu Eugène, il imagine une gigantesque escroquerie aux monuments aux morts, qui sonnera comme une revanche : il sera riche comme son père, dénué de scrupules comme les organisateurs du massacre de masse.
Le cynisme de la plupart des personnages du livre est effarant. Un seul exemple. Au Jockey Club, Péricourt, devenu le beau-père de Pradelle, fait un malaise alors que ce dernier vient d’apprendre qu’il est adjudicataire de plusieurs cimetières. « Bon Dieu, Quelle journée ! Le jour où il devenait millionnaire, son beau-père allait passer l’arme à gauche. Une chance pareille, c’était à peine croyable. »
La force du livre tien à la proximité des personnes dont la vie serait ruinée s’ils se découvraient. Albert, employé dans la banque de Péricourt, détourne des centaines de milliers de francs pour financer l’escroquerie de son ami Édouard, fils de Péricourt. Édouard vend à son père un projet de monument qui ne sera jamais réalisé. Pradelle, responsable de la bataille qui a défiguré Édouard, a épousé sa sœur Madeleine.
Mais les personnages ne sont pas, pour autant, caricaturaux. En faisant peu à peu le deuil de son fils présumé mort, Péricourt se réconcilie avec son souvenir. Il n’est plus l’homosexuel à bannir. Il devient l’objet d’un profond regret, celui ne d’avoir pas su, comme père, accueillir ses différences.
J’ai beaucoup aimé ! Le film tiré du livre a été réalisé par Albert Dupontel.