Dans « laissez-nous la nuit » (Grasset, 2020, 617 pages), son premier roman, la jeune journaliste Pauline Clavière raconte l’expérience carcérale d’un homme que rien ne destinait à la prison.
Max Nedelec, 56 ans, est gardé à vue, puis incarcéré. Plusieurs années auparavant, il a été condamné à la prison avec sursis pour des irrégularités commises pour sauver de la faillite l’imprimerie dont il avait hérité de son père. On lui reproche maintenant de ne pas avoir payé alors l’amende dont il devait s’acquitter. Son sursis est révoqué. Max est persuadé d’avoir payé, mais incarcéré, il n’a aucun moyen de remettre lui-même la main sur la preuve.
Il peut compter sur sa fille Mélodie, une battante qui mobilise ses soutiens. Mais le temps de remplacer un avocat incompétent par un cousin meurtri par la vie, qui a une revanche à prendre et s’engage à fond, plusieurs saisons s’écoulent : le printemps et l’été 2017, l’hiver 2017 – 2018.
La prison que décrit Pauline Clavière n’a rien à voir avec celle où je me rends chaque semaine pour visiter des personnes détenues. Son roman est mal documenté. La maison d’arrêt où Max Nedelec est incarcéré enferme aussi des détenus pour de très longues peines. Elle est cogérée par le directeur et le détenu boss des trafics mafieux de l’établissement. Ils évaluent les détenus dès leur arrivée, et réduisent les plus fragiles en servitude à coups de bottes administrés par leurs obligés. Des surveillants (ou « gardes » selon la terminologie de l’auteure) sont contraints de participer aux trafics, sous peine de voir leurs enfants menacés. Certaines cellules regorgent de bouteilles de champagne et de drogue. Elles ne sont pas chauffées : en hiver, on y grelotte. Lors d’une grève de surveillants, les repas ne sont pas servis et les détenus sont affamés. Cerise sur le gâteau : la prison est sous gestion privée ; elle reçoit 100€ par jour et par détenu ; pour elle , la surpopulation carcérale est une bénédiction, et les réductions de peine supplémentaires sont rarement accordées puisqu’elles réduisent le nombre de détenus et donc le chiffre d’affaires.
Pauline Clavière est journaliste, et son récit est étayé par des extraits de règlement intérieur et la référence à des événements extérieurs : la mort de Johnny, le mouvement de blocage des prison par les surveillants. Le manque de rigueur de son récit est d’autant plus dommageable qu’il est bien écrit et puissant.
L’auteure souligne bien la malédiction qui, en prison, s’attache aux faibles. Le premier codétenu de Max est « Bambi », un jeune réfugié syrien. « Partout où va Bambi, il y a de la ferraille pour lui barrer la route. Partout des pics pour déchirer sa peau et le vider de ses forces, comme un venin. Bambi ici, c’est la proie la plus facile, évidemment. Sa jeunesse, son habileté, sa méconnaissance de tout, son manque de papiers, de langue, de famille, il n’y a plus qu’à le cueillir et à le presser jusqu’à l’épuisement. »
Pauline Clavière poursuit : « C’est sale, la souffrance, c’est moche. C’est médiocre. Souffrir c’est médiocre. La victime n’est jamais considérée comme un être sain. Elle est gangrénée, atrophiée, marquée du sceau de la soumission et ce genre de marques-là, j’en suis certain, on ne s’en débarrasse jamais. »
Une autre remarque, pertinente pour beaucoup de détenus, sur la « promenade ». « Les mots mentent ici, ils cachent, trahissent et dans ce cas précis se rient de nous. Il n’y a aucune flânerie ici, encore moins de promenade. Se promener, ici, c’est s’exposer. Prendre le risque d’être repéré, envisagé, approché, sollicité dans un premier temps. Frappé, humilié, racketté, tué dans un second. »
« Laissez-nous la nuit » comporte de puissants portraits de personnes qui vivent en prison, détenus, médecin, aumônier, surveillants. Le plus attachant de ces personnages est Marcos Ferreira. « Le Portugais » a 55 ans. Une véritable relation d’amitié se noue entre cet homme frustre, façonné par une vie derrière les barreaux, et le chef d’entreprise arrivé là par accident. Marcos est atteint d’un cancer. Max devient son assistant de vie. Voici comment ce dernier décrit leur première rencontre : « Quinze ans qu’il a fait le siège de son cerveau pour ne pas devenir ce qu’il est à ce moment précis où je l’observe et qu’il ne s’en rend même plus compte. Quinze ans qu’il s’arme, prêt à dégainer à la moindre intrusion, qu’il colmate son intimité et travaille à se rendre aussi imprenable qu’un Fort Knox. Sa défaite me fait mal. En quinze ans, il a utilisé tout ce qui lui est passé sous la main : l’alcool, les coups, la drogue, le mensonge, les alliances sitôt tissées, sitôt trahies… »
On accorde à Max une permission à l’approche de Noël. Mais dans son cercle de famille et d’amis, il se sent étranger. « La prison a pénétré la moindre parcelle de mes cellules jusqu’à modifier mon patrimoine générique, pour s’assurer d’avoir toujours sa place dans mon identité, de ne jamais me quitter. Je suis un mutant. (…) Maintenant, je le sais, il existe un gène carcéral. Une modification du séquençage du génome de l’individu fait prisonnier. Et ce gêne-là, on le remarque à des kilomètres à la ronde. Le regard, la diction, les gestes, il en reste toujours quelque chose de visible. Un stigmate. »