France 5 a récemment diffusé « Hiver, Abbé Pierre », film de Denis Amar (1989).
En janvier 1954, le Sénat rejette une proposition de loi d’un milliard de francs pour construire des logements d’urgence. Trois semaines plus tard, une enveloppe de 10 milliards est votée à l’unanimité. Entre-temps est passée l’insurrection de la bonté déclenchée par l’Abbé Pierre.
L’hiver 1954 est exceptionnellement rigoureux. La Fraternité Emmaüs, créée par l’Abbé Pierre en 1949 à Neuilly-Plaisance est témoin de la détresse des sans-abris. Indigné par la mort de froid d’un nourrisson, l’Abbé publie dans le Figaro, sur quatre colonnes à la une, une tribune où il exige des mesures d’urgence. Invité dans ce billet aux obsèques du gamin, le ministre accepte le défi.
L’Abbé Pierre fait monter illégalement des barnums à proximité d’une gare. La tension avec les autorités ne cesse de croître. La mort d’une femme qui tient dans sa main l’arrêté d’expulsion de son logement suscite l’indignation de l’Abbé. Le 1er février, il obtient quelques minutes d’antenne sur Radio-Luxembourg
« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit, à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée. Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant tant d’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! »
Le standard de RTL est submergé d’appels. Dans les heures qui suivent, l’hôtel Royal que, dans la hâte, l’Abbé a donné l’adresse, est transformé en centre de réception et de diffusion des couvertures, des vêtements et des espèces récoltés. Un élan de solidarité irrésistible se manifeste. Les autorités politiques ne peuvent que la surfer. La loi sur les cités d’urgence est votée, ainsi que l’interdiction d’expulser des locataires pendant l’hiver.
Le film de Denis Amar est construit autour de deux personnages. L’un, réel, est Henri Grouès (1912 – 2007), dit l’Abbé Pierre, l’un de ses pseudonymes dans la Résistance. Il est incarné à l’écran par Lambert Wilson, crédible dans son indignation fiévreuse. L’autre, fictionnel, est Hélène Larmier (Claudia Cardinale), propriétaire de l’Hôtel Royal et compagne du ministre de l’intérieur, touchante dans sa trahison à sa classe sociale et à son compagnon.
« Le plus grand échec est de ne pas avoir le courage d’oser », disait l’Abbé Pierre. Ce que Denis Amar donne à voir, c’est le culot de l’Abbé. Il n’hésite pas à s’inviter chez le directeur de la rédaction du Figaro, et se fait si pressant que ce dernier fait changer sur le marbre la première page du quotidien. Il s’impose dans le studio de RTL et obtient les cinq minutes qui s’avèreront décisives. Lorsque son équipe, découragée, constate qu’il faudrait une armée de polytechniciens pour traiter les chèques qui affluent… il appelle séance tenante l’école polytechnique.
Les périodes exceptionnelles requièrent l’audace et l’innovation. Puissions-nous nous en souvenir, en ces temps d’exception.
Le personnage d’Hélène Larmier est bien réel, elle a en effet mis son hôtel de luxe, l’hôtel Rochester, à la disposition de la cause.