Le Mars Club

Dans « Le Mars Club » (2018), Rachel Kushner offre un tableau du versant sombre des États-Unis à travers le récit de captivité d’une jeune femme, ancienne strip-teaseuse dans une boîte de San Francisco.

Le récit est écrit à la première personne par Romy Leslie Hall, 29 ans lors de son incarcération. Il convient de saluer le travail de la traductrice, Sylvie Schneiter : le langage est en effet celui du prolétariat californien, bourré de mots argotiques et de références à la culture populaire. Romy est une WPOD, White Punk on Dope, une punk blanche accroc à la drogue. « On aimait plus la vie que l’avenir », dit-elle.

Le livre commence dans le fourgon cellulaire qui transfère Romy et d’autres détenues d’une maison d’arrêt à un centre de détention, le SWCF : Stanville Women’s Correctional Facility. Elle a été condamnée à deux peines consécutives d’emprisonnement à perpétuité pour le meurtre d’un pervers qui la harcelait. Le transfert a lieu de nuit : « S’ils avaient pu nous mettre dans un capsule et nous catapulter dans la prison, dit Romy, ils ne s’en seraient pas privés. N’importe quel moyen pour empêcher les gens normaux d’apercevoir ce groupe de femmes menottées et enchaînées dans un fourgon cellulaire. »

Ils vous obligent à centrer votre vie sur l’acte que vous avez commis

Le monde des gens bien, « bien intentionnés » comme chantait Brassens, ne veut rien connaître de cette moitié d’Américains sans aucun patrimoine. Lorsqu’ils « sortent du droit chemin », les juges les accablent et leurs avocats commis d’office ne les défendent pas. « Le regret. Ils vous obligent à centrer votre vie sur un acte, l’acte que vous avez commis, et vous devez évoluer à partir de ce qu’il est impossible d’abolir : ils veulent que vous fassiez quelque chose à partir de rien. Ils finissent par vous pousser à les haïr, à vous haïr. Ils créent l’illusion qu’ils sont le monde et que vous l’avez trahi, et que vous les avez trahis, mais le monde est tellement plus vaste ».

L’environnement de la prison de Stanville est sordide. « Les routes autour de la prison n’étaient pas destinées aux êtres humains, mais aux engins d’une agriculture industrielle et aux véhicules se rendant à la prison (…) Quand on aperçoit des lumières encore plus hautes que celles d’un stade, c’est qu’on est arrivé dans une prison. »

Image de la série « Orange is the new black »

Confinement

Un passage du livre résonne particulièrement en ce printemps 2020. « Lorsque la prison faisait l’objet d’une mesure de confinement, on était privées de sortie. Parfois, c’était à cause du brouillard, parfois en raison d’une pénurie de personnel (…) Ce n’était même pas un vrai brouillard. Simplement une brume légère due aux avions d’épandage qui aspergeaient les plantations d’amandiers autour du pénitencier. Le confinement signifiait que toutes les détenues restaient enfermées dans leurs cellules. Pas d’accès aux ateliers, pas de cours, pas de mouvements. »

Au sein de la prison, les relations sont brutales. « Bouge-toi, Hall ! » beugla un surveillant. C’était l’heure du comptage du soir. « Bouge ton cul, tout de suite, j’ai dit ! » Entre les détenues, C’est aussi le règne du rapport de force : « dans les maisons d’arrêt et les prison, il y en a certaines qui font la loi (…) Si on se plie à leurs règles, elles en inventent encore d’autres. Il faut toujours se battre, sinon on se retrouve sans rien. »

Tehachapi, installation du photographe JR

Un conseiller n’est pas quelqu’un qui conseille

« Jones, la conseillère pénitentiaire qu’on m’avait attribuée, est venue me voir pour faire un point. Un conseiller n’est pas quelqu’un qui conseille. Le conseiller pénitentiaire détermine le niveau de sécurité dont vous devez bénéficier, et quand et si vous pouvez rejoindre le quartier normal de la prison. Le conseiller vous tient à l’œil et fait des rapports à la commission de probation si vous déposez une demande de liberté conditionnelle. Les conseillers pénitentiaires ont un énorme pouvoir sur le sort des détenus, et ce sont toujours des enfoirés. » Jones encore : « fut un temps où les salopes dans votre genre me faisaient de la peine. Mais on n’atterrit pas en prison quand on veut être parent. Point final. »

Rachel Kushner peint des portraits attachants de femmes détenues : en particulier Betty LaFrance, qui fut mannequin pour ses jambes assurées pour des millions, maintenant dans le couloir de la mort ; et Conan, une femme transsexuelle qui passa par erreur une période dans une prison d’hommes. On retiendra aussi des portraits d’hommes. Gordon Hauser, fils d’ouvrier ayant accédé à l’université, enseigne la littérature en prison et ne peut s’empêcher d’aider les détenues, y compris en procurant à Romy une pince coupante. Kurt Kennedy lui-même, le psychopathe qu’assassina Romy, est décrit avec empathie.

Ce qui fait vivre Romy, c’est l’espoir de retrouver son fils Jackson. Elle s’en rapprochera, à la fin du livre, dans une évasion sans espoir mais par laquelle elle lui rend sa liberté.

Le livre de Rachel Kushner est fascinant, merveilleusement écrit, mais ne laisse pas d’espace à l’espoir. L’écrivaine a une vision pessimiste de l’Amérique. Dans une interview au Monde, le 8 novembre 2018, elle racontait que son fils de 11 ans lui avait dit : « Le pays devrait se séparer en deux. »

Rachel Kushner

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