Avec « La Maison Golden » traduit par Gérard Meudal, édité par Actes Sud, Salman Rushdie propose un roman foisonnant, produit d’une érudition et d’une imagination sans pareil.
Le narrateur du livre est René Unterlinden, un jeune aspirant cinéaste qui peine à trouver son sujet. « Avec l’égotisme sans limites de la jeunesse, écrit René, je m’étais mis à imaginer un film puissant, ou plutôt une suite de films dans le genre du Décalogue, traitant des migrations, des transformations, de la peur, du danger, du rationalisme, des changements de sexe, de la ville, de la lâcheté et du courage, carrément une fresque panoramique de notre époque. » Ce positionnement, appliqué eu roman, est celui de Salman Rushdie.
Le sujet du film de René lui tombe quasiment du ciel. Il s’agit de l’arrivée dans son petit quartier de Greenwich Village (New York) des Golden, le père et ses trois fils, venus de nulle part, bien décidés à faire table rase du passé et à reconstruire tout à neuf.
Dans leur tentative pour se recréer, les Golden ont changé jusqu’à leurs prénoms, empruntant à l’antiquité romaine. Le père s’appelle désormais Néron, les fils Petronius dit Petya, Lucius Apulius dit Apu, Dionysios dit D.
Néron, comme son héros romain, est, à l’extérieur, un homme d’affaires irrésistible ; au sein de la famille, un tyran également irrésistible. Mais il se fait vieux. Il tombe sous le joug d’une femme irrésistiblement belle, Vasilia Arsenieva.
Petya est un autiste Asperger, créateur génial de jeux vidéo, mais agoraphobe et asocial. Apu est un artiste bouillonnant et mystique. Quant à D., il est à l’image du dieu Dyonisios, « un outsider, un dieu de résurrection et d’arrivée, le dieu qui vient ; c’était aussi un dieu androgyne, efféminé. »
Le livre couvre les 8 années de la présidence d’Obama. Il est lourd de la montée des périls pour la Maison Golden, et mais aussi pour les États-Unis, où un Joker aux cheveux teints en vert est en embuscade pour se saisir du pouvoir au nom d’une idéologie sectaire et étriquée.
Tous les personnages du roman de Rushdie ont une véritable épaisseur humaine. J’ai aimé en particulier Riya, l’amante de D. Voici ce qu’elle raconte de ses lectures : « quand j’en ai fini avec un livre, il en a aussi fini avec moi et il s’en va. Je le laisse sur un banc dans Columbus Park. Au début, je me contentais de distribuer les livres. J’acquérais un livre, j’en donnais un ancien. Je n’en gardais toujours que sept. Mais je m’aperçus que d’autres aussi déposaient des livres là où j’avais laissé les miens et je me dis : ceux-là sont pour moi, et maintenant je regarnis ma bibliothèque des cadeaux de hasard que me font des étrangers inconnus et je ne sais jamais quel est le prochain livre que je vais lire. J’attends que les livres abandonnés m’appellent : hé toi, lectrice, tu es pour moi ! » Impressionnant hommage à la littérature.
Riya aime profondément D. malgré les doutes de celui-ci sur son identité et son genre, malgré ses pannes sexuelles. « Ces longues heures passées à faire l’amour sont infiniment plus agréables. C’est ce qu’elle dit et elle a longtemps réfléchi avant de le formuler : c’est comme si nous étions des femmes. »