Les diatribes d’Éric Zemmour contre les migrants mineurs non accompagnés et les tribulations de Karim Daoudi en territoire de non-droit ont en commun une question redoutable : qui décide que des personnes ont, ou non, le droit de vivre parmi nous, voire le droit de vivre tout court ? En toile de fond, une valeur de la République : la fraternité.
Sur la chaîne CNews, le chroniqueur Éric Zemmour s’est exprimé ainsi sur les mineurs étrangers isolés qui demandent l’asile à la France : « ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont, il faut les renvoyer ».
Qu’il s’agisse d’adolescents et d’enfants, de gamins, ne lui importe pas. Qu’ils aient quitté leur pays ravagé par la guerre et la misère lui est indifférent. Qu’ils aient, souvent aux mains de passeurs, survécu à mille dangers, ne compte pas pour lui. Ils sont, selon lui, criminels par nature. Ils n’ont pas le droit de vivre parmi nous. Et comme ils n’ont nulle part où aller, ils n’ont pas le droit de vivre tout court.
Est-il besoin de rappeler que l’essence de ces gamins n’est pas d’être des criminels ? Et que quand bien même ils auraient commis un délit ou un crime, reste ouverte pour eux la possibilité d’une rédemption ?
Dans le cas de Karim Daoudi, on se trouve loin de la fureur médiatique. C’est le froid silence d’une machine judiciaire kafkaïenne qui s’impose. Karim Daoudi a été condamné en 2005 à 6 ans de prison pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Déchu de la nationalité française, il est l’objet d’une interdiction définitive de séjour sur le territoire français mais il ne peut être envoyé en Algérie, son pays d’origine, où il risque la torture. Il est marié à une française et ils ont des enfants. Il a été assigné à résidence dans le Cantal, loin de sa famille. Le 25 septembre, il a été écroué à Aurillac pour non-respect des conditions de son assignation à résidence.
La mécanique est la suivante : on prononce une interdiction définitive du territoire français. Comme on ne peut pas l’exécuter, on place sur le justiciable un cumul d’obligations tel qu’il n’est humainement pas possible de les respecter toutes. Retour à la case prison : adieu la famille, adieu l’emploi. Ce qui est en cause, c’est la possibilité qu’une personne tourne le dos à ses errements passés et se réinsère dans la société. On le condamne à une sorte de mort sociale, puisque la mise à mort physique n’est plus politiquement correcte.
Beaucoup de Français aimeraient que l’on établisse des murs infranchissables entre les gens bien (dont ils font partie) et les irrécupérables (selon eux). C’est naturellement irréalisable. Et c’est surtout mortifère. Le venin de l’intolérance imprègne peu à peu le corps social, instillé à petites doses par les réseaux sociaux et des médias prêts à tout pour faire de l’audience comme CNews.
Il est temps de rappeler, avec l’Association nationale des visiteurs de prison, que nul n’est réductible aux actes qu’il a commis et que la personne humaine se construit fondamentalement par l’échange, la fraternité et la solidarité. La fraternité, troisième terme de la devise républicaine. Le plus méconnu.