Dans « L’approche du mal » (2019), livre écrit avec Mathieu Livoreil, l’expert psychologue Jean-Luc Ployé raconte son métier auprès des auteurs et des victimes de crimes et de délits.
En trente-cinq ans de carrière, Jean-Luc Ployé a réalisé 13 000 expertises, moitié de mis en cause, moitié de victimes. « J’ai voyagé à l’intérieur d’eux-mêmes, doucement, écrit-il. J’ai bu leurs histoires et leurs sentiments. Certains voyages m’ont mené vers des horizons obscurs. »
Bien que la couverture du livre insiste sur ses expertises de tueurs en série, Fourniret, Heaulme, Chanal, une bonne partie de l’ouvrage est consacré à son travail auprès de victimes. La plupart sont des femmes qui ont porté plainte pour viol ou agression sexuelle. Disent-elles la vérité ? L’enjeu est important : la peine moyenne contre celui qui est reconnu coupable d’un ou plusieurs viols est de 9,6 années de prison ferme.
Jean-Luc Ployé a renoncé à parler de « crédibilité » de leur témoignage. Il préfère dire d’elles que leur discours est cohérent ou authentique. « Dans les entretiens que je mène, je m’arrange pour aborder les faits au début et à la fin. Si l’histoire est répétée mot pour mot, cela peut signifier qu’elle me raconte une histoire qui n’est pas la sienne. »
C’est pourtant bien le regard de l’expert psychologue sur les tueurs en série qui m’a fait acheter le livre. J’étais intéressé à connaître sa méthode, les tests qu’il utilise (y compris les fameuses taches de Rorschach). Je voulais surtout connaître sa position à l’égard d’une conviction au centre de mon engagement comme visiteur de prison : que nul n’est réductible aux actes qu’il commet et que la possibilité d’un changement de route, d’une rédemption, est toujours ouverte.
L’auteur ne souscrirait pas à cet acte de foi. En Michel et Monique Fourniret, en Francis Heaulme, en Pierre Chanal, il voit des êtres enkystés dans un fonctionnement psychique pathologique. S’ils sortaient des schémas mentaux qu’ils se sont construits, ce serait l’anéantissement.
Le schéma mental de Michel Fourniret, c’est celui de la toute-puissance, contre lequel même la privation de liberté ne peut rien. Celui de Francis Heaulme, c’est l’impuissance devant des pulsions qui le poussent à « prendre la route comme un vagabond » et à entamer « une errance dont il connait l’issue. » Celui de Pierre Chanal, c’est l’anéantissement en lui de tout sentiment et de toute compassion : « le petit enfant élevé dans la souffrance est devenu un sadique ».
Pour Jean-Luc Ployé, certains individus ne sortiront jamais du crime. « Si Fourniret sort de prison, il recommencera ses crimes, même à l’âge de 95 ans. » Mais pour autant, il ne trace pas une frontière entre les gens honnêtes et les monstres. « Rencontrer quelqu’un comme Fourniret ne fait au fond que me renvoyer à ma propre humanité, à certains traits de ma personnalité. On peut dire qu’il a commis des actes monstrueux, que c’est un grand salopard, mais en définitive, ce n’est qu’un homme avec qui j’ai vécu des moments forts. »
Il décrit l’expert psychologue comme un spéléologue qui « éclaire la grotte ». Ce faisant, il ne peut ignorer les zones d’ombre refoulées aux tréfonds de chaque être humain.