L’article 23 du projet de loi sur la « sécurité globale », moins disputé que la fameux article 24 interdisant de filmer des policiers en action, n’en est pas moins délétère.
Dans un papier paru dans Le Monde le 1er décembre, Jean-Baptiste Jacquin attire l’attention sur cet article 23, qui exclut du bénéfice des réductions de peine les auteurs d’infractions contre un membre des forces de sécurité intérieure, un élu ou un pompier.
Cette disposition répond au postulat, jamais démontré dans les faits, de l’effet dissuasif des sanctions les plus graves. Avant de commettre une infraction, le délinquant ou le criminel comparerait les sanctions qu’il encourrait en s’en prenant à une petite vieille ou à un policier, et, tout bien pesé, choisirait d’attaquer la première et de s’abstenir d’agresser le second. Ce n’est pas comme cela que cela se passe « dans la vraie vie ». Les partisans de la peine de mort avaient annoncé une explosion des homicides si la guillotine était mise au placard, et c’est à une forte diminution qu’on a assisté. Ce qui décourage délinquants et criminels n’est pas la lourdeur de la sanction qu’ils risquent, mais la certitude de se faire prendre.
Jean-Baptiste Jacquin cite Yvan Guitz, président de l’association nationale des juges d’application des peines, qui relève que le dispositif voté « n’a aucun rapport avec la gravité des faits : celui qui menace un policier est privé des réductions de peine, mais pas le violeur d’enfants ». Le journaliste rappelle que la gestion des remises de peine, les remises automatiques que l’on peut annuler ou les remises supplémentaires qui sont discrétionnaires, constituent un outil essentiel de la gestion des établissements pénitentiaires : à côté du « bâton » des commissions disciplinaires, elles représentent la « carotte » qui récompense les comportements adaptés.
Jusqu’à présent, seuls les terroristes avaient été privés du droit à une réduction de peine. Le projet de loi de « sécurité globale » élargit donc la part de la population carcérale qui en seront dépouillés. Il faut le dire nettement : cette mesure est inefficace pour réduire les violences dont sont victimes les forces de l’ordre. Elle est immorale parce qu’une simple rébellion lors qu’un contrôle d’identité peut avoir plus de conséquences sur la condition carcérale que la commission d’un meurtre ou d’un viol. Elle sape l’autorité de l’administration pénitentiaire.
L’article 23 fait partie du grignotage sécuritaire qui, sous la pression de l’opinion publique, mine peu à peu l’approche individualisée des situations qui devrait être la règle. Toute personne détenue devrait avoir l’opportunité de travailler, de suivre un enseignement ou une formation, de bénéficier de permissions de sortie, de voir la durée de sa peine réduite en fonction de son comportement et de ses efforts pour se réinsérer dans la société. La tendance du législateur à créer des catégories de justiciables privées de telle ou telle opportunité est mortifère : son présupposé est qu’il serait possible de neutraliser pour toujours des individus appartenant à l’espèce des malfaisants. Mais là encore, cela ne se passe pas ainsi dans la « vraie vie » : tout délinquant et tout criminel a vocation à sortir un jour de prison. Le mettre dès le départ à l’index, le priver de toute opportunité de réduire la peine qu’il subit excitera probablement en lui frustration et colère, accroîtra le risque de récidive, réduira la possibilité d’un retour apaisé dans la société.