« Les lions de Sicile », roman historique de Stefania Auci publié en Italie en 2019, devrait être disponible dans sa traduction française en avril 2021.
Le roman commence en 1799, lorsqu’un tremblement de terre, le deuxième en moins de vingt ans, touche le village calabrais de Bagnara. Deux frères, Paolo et Ignazio Folio, dont le métier consiste à transporter à bord de leur petit voilier des épices de la Calabre à la Sicile et qui disposent d’un bureau de vente à Palerme, décident de s’y installer. Le modeste comptoir est transformé en un véritable commerce où l’on vend des aromates et des plantes médicinales. Peu à peu, leur renommée et leur clientèle s’accroissent.
Le livre de Stefania Auci raconte l’épopée de la maison Folio, de leur installation en Sicile jusqu’à la mort de Vincenzo, fils biologique de Paolo et adoptif d’Ignazio, en 1868. Si les faits et les personnages sont historiques, leurs caractères et leurs interactions sont romancés. Le livre est découpé en dix séquences de six à douze années, chaque séquence étant précédée d’une mise en perspective géopolitique. Les Folio ont en effet dû s’adapter à des évolutions brutales de l’environnement des affaires : la mainmise anglaise sur la Sicile pendant le règne de Napoléon, l’épidémie de choléra qui fit 23 000 victimes à Palerme en 1837, les mouvements insurrectionnels de 1848, l’annexion de la Sicile par le royaume du Piémont-Sardaigne à la suite de l’expédition de Garibaldi en 1860.
Qualité et innovation
Les Folio deviennent, au fil des années, immensément riches, grâce à deux atouts : le souci de qualité et l’innovation. Qu’ils négocient des médicaments, du soufre ou de la dentelle, ils acquièrent et vendent le meilleur produit. Lorsqu’en 1835 ils acquièrent un vignoble à Marsala, ils transforment peu à peu ce qui était un vin de table en un nectar recherché à la table des rois.
Les Folio, dit l’autrice, gardaient « les yeux ouverts sur le monde quand au contraire, ses yeux, Palerme les tenaient bien fermés ». Ils comprennent avant les autres que la motorisation à vapeur des bateaux permettra d’obtenir une régularité inaccessible aux voiliers, et ils installeront sur l’île une fonderie qui produira des pièces pour les réparations. Ils introduisent la conservation du thon dans de l’huile. Innover leur permet de rester longtemps sans concurrents et de s’enrichir.
Un sang qui pue la transpiration !
Vincenzo devient le principal créancier d’aristocrates au bord de la faillite. Mais il n’est pas de leur monde. Jeune, il s’était énamouré d’une fille de l’aristocratie. La mère de celle-ci l’avait humilié en place publique : « tu pourras avoir tout l’argent du monde, mais il aura toujours la puanteur de la sueur. Porteur tu es et porteur tu resteras. C’est le sang qui fait la différence. » Le sang des Folio dégage la mauvaise odeur de la transpiration et du travail. L’hérédité et l’oisiveté comme vertus !
« C’est cela qui l’indigne, dit l’autrice de Vincenzo. Découvrir que ça ne va jamais, que ce n’est jamais suffisant. Que, quoi qu’il fasse, il porte sur lui un péché originel dont il n’est pas coupable. »
La femme de toute une vie
Être reconnu, devenir un aristocrate, voilà ce que désire avant tout Vincenzo. Pour cela, il lui faut épouser une femme qui lui apporte un titre. Il cherchera en vain l’opportunité pendant dix ans. Entre temps, il aura trouvé sur sa route Giulia, fille d’un négociant milanais. Il en est amoureux, il la conquiert à force d’obstination. Elle accepte son statut de « mantenuta », de maîtresse entretenue, rejetée par sa propre mère. Elle donne à Vincenzo deux filles, puis un garçon, Ignazio, son héritier. Il l’épouse alors. Giulia sera la femme de sa vie, « un trésor » lui révèlera le commerçant anglais Ben Ingham, son mentor, son concurrent, et son ami. Elle seule, écrit Stefania Auci, « a eu la force de supporter cette part d’ombre qu’il porte en lui ».
Se dessine, tout au long du roman, un autre portrait de femme, celui de Giuseppina, femme de Paulo et mère de Vincenzo, qui vivra jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans et ne parviendra jamais à être heureuse : arrachée à sa terre de Calabre par un mari brutal qu’elle n’aime pas, incapable après la mort de celui-ci d’avouer son amour pour son beau-frère Ignazio, voyant en Giulia un parti indigne de son fils, elle reste envahie par la rancœur.
« T’ai-je donné suffisamment ? » demande Vincenzo mourant à Giulia. « Ses yeux se voilent de larmes parce qu’elle sait qu’il ne dira jamais des mots d’amour. Ce sera à elle de le faire pour tous les deux. Elle s’assied devant lui, comme Vincenzo l’avait fait quand était né Ignazio. Elle dit des mots qu’elle n’a jamais osé lui dire, alors que sa chair se déchire et que son cœur se brise. « Oui mon amour, tu m’as aimée suffisamment ».