La pièce « top girls » de Caryl Churchill est actuellement donnée par le Studio Trafalgar de Londres sous la direction de Max Stafford Clark.
Caryl Churchill a écrit cette pièce en 1982, en plein thatchérisme triomphant : pour la première fois, une femme accédait au poste de premier ministre en Grande Bretagne ; le discours de la « dame de fer » était tout entier centré sur la réussite individuelle et le rejet des dispositifs d’assistance aux plus fragiles.
Marlene est le personnage central. Elle vient d’être promue directrice générale de Top Girls, une agence de recrutement, en coiffant un homme plus âgé qui en fera une attaque cardiaque. Dans la scène centrale de la pièce, on assiste à une série d’entretiens d’embauches, dont l’un d’une femme de 46 ans qui a tout sacrifié pour sa carrière et voit les hommes immanquablement préférés à elle pour les promotions : elle est prête à tout pour échapper à sa prison dorée.
Plus jeune, Marlene est partie tenter sa chance en Amérique en laissant sa fille Angie à sa sœur Joyce. Joyce vit dans la pauvreté et Angie a quitté l’école. Elle débarque un jour à Top Girls, vivant reproche aux conditions qui ont permis à Marlene de réussir professionnellement.
La pièce n’est pas construite linéairement, elle va, vient et revient dans le temps. La première scène est surréaliste. Marlene a invité à fêter sa promotion dans un restaurant italien branché une demie douzaine de femmes qui ont eu dans l’histoire un parcours exceptionnel : la Papesse Jeanne qui pour étudier s’était faite passer pour un garçon, avait franchi tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique jusqu’à être élue pape et avait accouché d’un enfant en plein milieu d’une procession pour finir lapidée comme antéchrist ; une voyageuse de l’époque victorienne qui avait choisi de ne pas avoir d’enfant ; l’épouse d’un empereur japonais à qui ses enfants furent arrachés ; un personnage d’un tableau de Bruegel, un personnage des contes de Cantorbéry… Toutes racontent la cruauté du destin qui les a menées au plus haut. Elles s’efforcent d’oublier à force de brandy, comme dans un club de gentlemen.
Top Girls est parfois drôle, mais est surtout une comédie grinçante qui marque un basculement des valeurs de la compassion à la réussite. Le dernier mot de la pièce est d’Angie, au coeur de la nuit : « j’ai peur ». .
Photo de la pièce « Top Girls » : le dîner de Marlene avec ses invitées héroïnes de siècles passés.