La Chaîne Parlementaire, LCP, a récemment diffusé « Kadhafi mort ou vif », un documentaire réalisé par Antoine Vitkine en 2012, quelques mois après la mort du dictateur libyen.
La projection du documentaire était suivie d’un débat intitulé « Libye, comment sortir du chaos ? » C’est peu dire que l’intervention militaire de la France, du Royaume-Uni, des États-Unis et du Qatar en 2011 n’a pas stabilisé le pays. Celui-ci, en proie à l’anarchie, sert de base aux passeurs de migrants. Les puissances régionales, Turquie et Égypte en tête, attisent les conflits entre groupes tribaux.
Rappelons les faits. Arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1969, Mouammar Kadhafi a imposé une dictature sanguinaire pendant plus de 40 ans. Actif protagoniste du terrorisme international dans les années 1980, il s’est rangé aux côtés de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme dans les années 2000. Il fit une visite spectaculaire et embarrassante à Paris en décembre 2007.
En février 2011, dans le sillage du printemps tunisien, une révolte éclate à Benghazi, la seconde ville du pays. Kadhafi jure de la réprimer dans le sang. Nicolas Sarkozy, David Cameron et Barak Obama exigent son départ. Ils obtiennent une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU le 17 mars, autorisant le recours à la force pour protéger les populations civiles.
Il faut attendre le mois d’août pour que des insurgés, armés par la France et le Qatar, prennent le contrôle de Tripoli. Le dictateur est assassiné dans une embuscade le 20 octobre. Le chaos s’installe ensuite, Le Conseil national de transition, dont dépendait pour les alliés une transition pacifique, s’avère une chimère. Parmi les révolutionnaires, les islamistes soutenus par le Qatar occupent une place importante.
Du côté français, le désir de se venger de l’humiliation du séjour à Paris du raïs libyen et celui de faire oublier le soutien au dictateur tunisien Ben Ali ont certainement pesé dans la décision de faire tomber Kadhafi. Il convient de tenir compte aussi du principe de devoir d’ingérence, défendu notamment par Bernard Henri Lévy, selon lequel il est légitime, et même éthique, de venir de l’extérieur au secours des peuples opprimés.
Le problème du devoir d’ingérence, c’est qu’il est nécessairement inégal. Dans son autobiographie, « une terre promise », Barak Obama constate ainsi qu’après avoir fortement contribué à la chute de Moubarak en Égypte, les États-Unis n’ont rien fait pour éviter les milliers de morts causées par la répression à Bahreïn, soutenue par leurs alliés dans le Golfe.
Le deuxième problème du droit d’ingérence, c’est que l’intervention pour faire cesser un massacre ne garantit nullement une amélioration durable des conditions de vie de la population, et moins encore son accès à plus de liberté. La violence déchaînée peut au contraire accroître les crispations et ruiner ce qui subsiste de l’état de droit, livrant le pays aux mains des milices et des mafias.
Le cas libyen est emblématique. L’usage de la manière forte pour détrôner Kadhafi est le miroir du soutien dont il bénéficia pendant des années. Les dirigeants occidentaux ont tendance à penser qu’appuyer les dictateurs garantit la stabilité régionale et la paix. C’est une idée fausse. Ils finissent par intervenir brutalement lorsque l’opinion publique se scandalise de leurs tueries. C’est trop tard, et cela envenime les choses au lieu de les apaiser.