Les mémoires de Messali Hadj

À la suite du rapport Stora sur les questions mémorielles entre la France et l’Algérie, j’ai lu les mémoires de Messali Hadj, livre qui m’avait été offert lors de sa publication en 1982.

Ahmed Messali, connu sous le nom de Messali Hadj, est né à Tlemcen en 1898 dans une famille de six enfants. Il a écrit ses mémoires vers la fin de sa vie (il est décédé à Gouvieux en 1974), mais il n’a pas eu le temps d’en achever la rédaction. Le texte couvre donc la période qui s’étend de la naissance de Messali à son emprisonnement à la prison de Maison-Carrée (El Harrach) en 1938.

La première partie du livre, consacrée à l’enfance et à l’adolescence de Messali jusqu’à son service militaire pendant trois ans à Bordeaux de 1918 à 1921, permet de comprendre la formation de cette personnalité exceptionnelle. Messali parle avec tendresse de Tlemcen, ville frontalière avec le Maroc : « véritable Eden terrestre, la ville de Tlemcen a des habitants à son image. Femmes, hommes, enfants sont naturellement gais. Portés à méditer et à chanter, ils aiment la broderie et le tissage. »

L’islam

Sa famille appartient à une zaouia (confrérie musulmane), celle des Derkaoua, « qui était pour moi, dit-il, un port d’attache et un refuge ». L’islam est constitutif de son identité : « (il) a pour mission première de guider l’homme dans la voie du salut depuis sa naissance jusqu’à la tombe, le temporel et le spirituel se conjuguant pour permettre l’épanouissement de l’homme. »

Sa famille est pauvre. Elle exploite avec des cousins une parcelle de 4 hectares. Le père de Messali travaille aussi pour compte d’autrui. Le jeune Messali lui-même, enfant, travaille dans une variété de métiers, et ne fréquente l’école qu’épisodiquement ? C’est le deuxième marqueur de son identité : il fait partie de la classe ouvrière. Il ratera son certificat d’études, à cause du calcul. Plus tard, on lui reprochera son « ignorance crasse ». Il aura pourtant lu énormément, et aura appris sur le terrain beaucoup plus que des étudiants dans leurs polycopiés.

Les Messali sont turcophiles. Ils ont les yeux fixés sur Istanbul, où règne le commandeur des croyants. Lorsque les Français menacent d’imposer la conscription, des Tlemcéniens s’exilent en Orient. Plus tard, Messali Hadj aura une vision panislamique : certes, il parle au nom du peuple algérien, mais celui-ci est un sous-ensemble du monde arabo-islamique.

 

L’injustice de la colonisation

Très tôt, le jeune Messali a le sens de l’injustice de la colonisation. Il raconte que, lorsqu’il avait 16 ans, il travaillait comme commis dans une épicerie qui comportait deux entrées, une pour les Européens, l’autre pour les indigènes. « La différence entre les colonisateurs et les colonisés apparaissait d’une manière flagrante à l’occasion des fêtes de fin d’année. Du côté européen, le magasin était illuminé. Le contenu des étalages était riche. Il y avait des chocolats, des marrons glacés, des friandises et des nougats de marque européenne. Dans la partie indigène, on continuait à nous demander les mêmes denrées : « un sou de café et de sucre mélangés », et c’était alors déchirant. » Plus tard, promu sous-officier pendant son service militaire, il constate l’inégalité de traitement avec ses camarades français. « Je m’étais rendu compte que je ne touchais pas la même solde que les Français. Je gagnais 1 F 50 par jour, tandis qu’un camarade français du même âge recevait 7 F (…) On me dit que ma qualité d’indigène ne me permettait pas de jouir de tous les droits des Français. »

Malgré cela, il noue des amitiés solides avec des Européens : Émile Sisquaire, de deux ans son aîné, qui l’introduit au club de gymnastique ; Madame Couétroux, qu’il considérait comme sa seconde mère. C’est cette dernière qui lui présentera Émilie Busquant, une jeune Lorraine, qu’il épousera et qui deviendra la mère de ses deux enfants, Ali et Djanîna. La petite fille portera le surnom affectueux qu’avait donné à Émilie la famille Messali à Tlemcen, qui signifie « petit jardin ». C’est un autre côté de la personnalité de Messali Hadj : la curiosité, celle qui lui fait demander d’aller à l’école française, celle qui ensuite le poussera à aller vivre à Paris.

Dans ses mémoires, Messali Hadj raconte son engagement politique dans les rangs du Parti Communiste, qui lui apprend les bases de l’organisation et de l’action politiques, puis la création de l’Étoile Nord-Africaine et les affrontements avec la puissance coloniale, qui lui vaudront des années de prison, de bagne, de résidences surveillées et d’exil.

Contre l’assimilation

Il se détache progressivement du Parti Communiste. Sous le gouvernement du Front Populaire, le rapport « Blum Viollette » prévoyait d’accorder la nationalité française à vingt mille indigènes triés sur le volet. Messali Hadj s’y oppose. « Le nouveau système d’exploitation prévu par le rapport pouvait dresser les vingt mille privilégiés contre les six millions d’indigènes qui resteraient des « sujets français ». Le colonialisme « voulait transformer l’Algérie en terre française par doses de vingt mille Algériens et détacher ainsi notre pays de l’Afrique du Nord et du monde arabo-islamique. »

Les mémoires de Messali Hadj s’arrêtent à l’année 1938. Elles ne couvrent pas la seconde guerre mondiale, les massacres de Sétif le 8 mai 1945, le déclenchement de la lutte armée à la Toussaint 1954, la lutte à mort entre le FLN et les Messalistes et l’écrasement de ces derniers.

Ahmed Ben Bella, qui avait été libéré en 1980, se rendit à Tlemcen sur la tombe de Messali Hadj, qui était décédé six ans plus tôt en exil en France sans avoir pu revoir son pays. Il rédigea la préface de l’édition de ses mémoires en1982, marquant ainsi un début de réconciliation après des décennies de luttes fratricides sanguinaires. « Il n’est pas de reconstruction dans la falsification, dans l’injustice, écrivait-il. Notre peuple au génie si riche, qui a fait un temps l’admiration du monde entier, peut mener, doit mener cette entreprise fondamentale et restituer à chacun ce qui lui est dû, et d’abord au plan moral (…) » Messali Hadj « apparaîtra comme un homme ayant pris une part immense dans notre destinée. »

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