Depuis quelques mois, je suis sensible aux centaines, ou probablement aux milliers, de personnes qui ont fait partie de ma vie au fil de six décennies et qui s’en sont effacées.
J’ai entre les mains un carnet d’adresses datant des années 1970. J’y trouve des noms, des adresses, des numéros de téléphone biffés, corrigés, remplacés. La plupart des personnes mentionnées sont sorties de ma vie.
Je tiens maintenant mon annuaire personnel sur Outlook. Il n’existe plus qu’au présent, impeccable dans son actualité. Les disparus disparaissent, seuls subsistent les noms, les numéros de téléphone et les adresses postales et électroniques du moment. J’aimerais aujourd’hui parcourir les annuaires papier des organisations auxquelles j’ai appartenu dans le passé. Si je les avais conservés, j’aurais pu y raccrocher des fragments de mémoire, ramener brièvement à la vie des relations passées.
Peu de personnes ont quitté ma vie parce que nous aurions décidé de rompre, pour un motif sérieux ou sur un malentendu.
Certaines sont mortes, âgées ou dans la fleur de l’âge. Il a fallu faire leur deuil.
D’autres ont disparu de ma vie lorsque j’ai quitté l’organisation où je les côtoyais, entreprise, association, communauté. Je les ai aussi perdues de vue lorsque j’ai changé de pays ou de ville.
D’autres enfin ont simplement glissé, comme par inadvertance, hors de mon périmètre d’attention. J’envoie, chaque année, des nouvelles avant Noël. Cette chronique annuelle constitue un lien efficace, bien que ténu. Mais il arrive que, de non-réponse en non-réponse, les liens se distendent jusqu’à se dissoudre.
« C’est toujours ainsi, nous sommes qui nous sommes non en raison des personnes que nous avons rencontrées mais de celles que nous avons quittées. » (Gianfranco Calligarich, le dernier été en ville)