Héritage

« Héritage », roman de Miguel Bonnefoy, écrivain d’ascendance chilienne, française et vénézuélienne, propose au lecteur une captivante saga familiale couvrant quatre générations des deux côtés de l’Atlantique.

 À la fin du dix-neuvième siècle, un viticulteur du Jura ruiné par le phylloxéra se présenta aux officiers d’immigration à Valparaiso. Ne comprenant pas l’espagnol, il répondit par son lieu de naissance à une questions sur son patronyme. C’est ainsi que, natif de Lons-le-Saulnier, il devint pour toujours Lonsonier.

 L’histoire des Lonsonier est marquée par des traversées de l’Atlantique. Lazare s’engage dans l’armée française lors de la première guerre mondiale et perd un poumon dans la bataille de la Marne. Margot, sa fille, combat dans la RAF comme aviatrice pendant la seconde guerre mondiale. Ilario Da, fils de Margot, se réfugie en France pour échapper aux massacres de Pinochet.

Vignoble dans le Jura

Aucun personnage de cette histoire n’est banal. Lazare Lonsonier, ne parvenant pas à guérir de ses blessures que la Marne lui avait laissées, rencontre une caravane d’indiens Mapuche. « Je veux acheter un voyage », leur dit-il. « Les Mapuches, habitués à la folie imprévisible des Blancs, ne furent pas le moins du monde impressionnés et lui expliquèrent que, s’il avait de quoi payer pendant un mois, ils l’acceptaient dans leur caravane. » Installé ensuite à Santiago, il se lança dans une industrie peu banale : la fabrication d’hosties.

 Dans son errance dans les hauts-plateaux andins, il rencontra Thérèse, une fauconnière, fille d’un musicien français venu s’installer avec ses instruments dans un village dont il devint le « maestro ». Installée avec lui à Santiago, elle élève des dizaines d’oiseaux dans la volière qu’il a construite dans le jardin de la maison familiale.

 Margot, fille de Lazare et Thérèse, « dont la première vision fut celle de cinquante oiseaux sur des perchoirs, ne parvint jamais à s’endormir ailleurs que dans la volière. » Elle en conçut le projet de toute une vie : construire un avion, voler. Lorsqu’elle réalisa son rêve, elle s’étonna que le métier d’aviateur soit alors masculin : « de gros nuages se fendaient en bosses et protubérances. Les formes étaient courbes, galbées, bombées comme des jarres, suspendues comme des coraux, pleines de veinures secrètes, tout obéissait à des emblèmes féminins. »

Santiago du Chili

Ilario D, fils de Margot, dut son prénom à un compagnon d’aviation et de combat de sa mère, Ilario Danovski, Juif issu d’une lignée de rabbins, mort dans un combat aérien sur la Manche. Engagé dans le Mouvement de gauche révolutionnaire (MIR) il est sauvagement torturé par les séides de la junte militaire arrivée au pouvoir en septembre 1973, et ne doit son salut qu’à sa nationalité française qui lui offre une terre d’exil.

 Il y a aussi dans ce livre un personnage étrange : Helmut Drichman, un Allemand du Chili, qui épargne la vie de Lazare dans un combat au corps à corps entre les tranchées, et revient à Santiago, trente ans plus tard, faire un enfant à Margot. « Helmut Drichman avait débarqué de l’au-delà en uniforme de l’armée (…) La finesse de son corps d’adolescent contrastait avec la silhouette de Lazare, que trente ans de nuits agitées, d’illusions flétries et de désirs hantés, avaient vieillie. »

 Enfin, un personnage court tout au long du roman : Michel René, un oncle resté dans le Jura, qui posséderait les clés de l’histoire familiale. On apprend qu’il n’est pas un oncle, pas même un homme et que son histoire a à voir avec la Commune, comme celle d’Ilario D avec le mouvement populaire au Chili.

Miguel Bonnefoy

L’ouvrage de Miguel Bonnefoy produit chez le lecteur un tourbillon, avec des abîmes vertigineux. La description des horreurs de la guerre de 1914-1918 et de la répression au Chili fait froid dans le dos. Je retiens un acte d’héroïsme dont l’humour n’est pas absent. Un dirigeant du MIR arrêté par les militaires est censé leur indiquer des militants du mouvement attablés à un restaurant où ils ont leurs habitudes. « On raconte qu’il commanda le meilleur vin et le plat en tête de carte et que, pendant tout le repas, il ne leva pas le nez de son assiette. Quand on lui apporta l’addition, il pointa du doigt les militaires déguisés en civil : ces messieurs m’invitent. Il se fit offrir son dernier dîner. On ne le revit plus. »

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