Nous sommes ce dont nous nous souvenons

Le quotidien britannique The Guardian a publié le 18 mai un article intitulé « Nous sommes ce dont nous nous souvenons, un plaidoyer juif pour le retour des réfugiés palestiniens ».

 L’article est signé par Peter Beinart, rédacteur en chef de la revue Jewish Currents. Celle-ci, fondée en 1946, se présente comme un magazine engagé dans la riche tradition de pensée, de militantisme et de culture de la gauche juive. Beinart est aussi professeur à la City University de New York.

 Le point de départ de l’article est la célébration par les Palestiniens, le 14 mai, de l’anniversaire de la Nakba, la catastrophe qui a vu fuir 700 000 personnes de leur pays lors de la fondation d’Israël en 1948. Une loi israélienne de 2011 interdit le financement public d’organisations qui commémorent la Nakba.

Se souvenir d’où l’on vient est constitutif de l’identité d’un peuple. La référence à la Shoah structure aujourd’hui le peuple juif. Le philosophe Isaiah Berlin soulignait aussi que ce peuple « a des souvenirs plus longs que les autres peuples ». La destruction du temple de Jérusalem et l’exil, événements qui se sont déroulés il y a 2500 ans et 2000 ans, sont vécus au temps présent.

 Le sionisme justifie le retour des Juifs à la « terre promise » par une histoire millénaire. Peter Beinart pose la question suivante : « pourquoi rêver d’un retour est-il louable pour les Juifs mais pathologique pour les Palestiniens ? » Ceux-ci sont soupçonnés d’avoir les yeux tournés vers le passé, incapables de se réconcilier avec lui.

 Dans son très long article, l’auteur rappelle ce qu’a été l’exil forcé des Palestiniens. Il estime qu’aucun « processus de paix » n’est possible si on continue à travestir ce passé, à passer sous silence les violences subies, à faire porter le chapeau aux victimes elles-mêmes.

 L’auteur cite le poète palestinien Mahmoud Darwich dans une interview avec un journaliste israélien : « vous n’avez jamais cessé de rêver. Mais votre rêve se situe plus loin dans le temps et dans l’espace. Je n’ai été exilé que pendant 50 ans. Mon rêve est vif, récent. »

 Le thème du retour des Palestiniens exilés est tabou en Israël. Pourtant, dit Beinart, ce serait dans l’intérêt des Israéliens eux-mêmes de comprendre pourquoi les Palestiniens ont dû quitter leur pays. Beaucoup ont peur de cette vérité. Ils croient qu’en polluant la mémoire, ils réduiront au silence ces Arabes qui partagent leur terre. Le courageux article de Peter Beinart tire un signal d’alarme : les conflits glissés sous le tapis finissent toujours par ressortir un jour dans un état de pourriture avancée.

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