Sœur Sourire

Arte TV a récemment diffusé « Sœur Sourire », film de Stijn Coninx (2009) consacré à Jeanine Deckers qui, lorsqu’elle était religieuse, connut un succès mondial avec sa chanson « Dominique ».

 Jeanine (Cécile de France) est une adolescente rebelle. Sa mère (Jo Deseure), une femme autoritaire entend la conduire dans le chemin normal : reprendre la boulangerie-pâtisserie familiale, se marier, avoir des enfants. Jeanine rêve d’autres horizons : le dessin, la guitare, l’Afrique, Dieu peut-être.

 Pour échapper à ce destin imposé, elle entre dans un couvent de sœurs dominicaines. C’est pour tomber sous la coupe d’une autre mère, la mère supérieure (Chris Lomme), qui n’a de cesse de tenter de briser la volonté de la jeune novice réfractaire à l’obéissance.

Jo Deseure, Cécile de France

Mais les temps changent. À Rome, le pape Jean XXIII convoque un concile œcuménique. On finit par laisser à « Sœur Luc Gabriel », le nom de religion de Jeanine, une marge d’autonomie créatrice. Elle compose des chansons, dont un hymne au fondateur de l’ordre des Dominicains : « Dominique nique nique s’en allait tout simplement… »

 Les responsable ecclésiastiques voient le bénéfice qu’ils peuvent tirer de ce jeune talent : contribuer à l’aggiornamento de l’Église, lui donner une image de modernité, séduire les jeunes. Un accord est passé avec Philips pour la réalisation et la diffusion d’un 45 tours, dont la chanteuse est baptisée « Sœur Sourire ».

 Le résultat dépasse toutes les espérances : 2 millions d’albums vendus dans le monde, n°1 au hit-parade aux États-Unis en décembre 1963. Les religieuses tentent de préserver l’anonymat de la chanteuse, mais les murs craquent : Sœur Sourire fait la une de Paris-Match et est la vedette d’un talk-show américain.

Soeur Luc Gabriel châtiée pour désobéissance

Jeanine se prend à rêver de partir en tournée. Lorsqu’elle découvre que la mère supérieure a intercepté les lettres que lui adressait Annie (Sandrine Blancke), son amie d’enfance, elle décide de quitter le couvent.

 C’est auprès d’Annie que Jeanine trouve refuge. Elle s’engage dans une carrière de chanteuse, mais les milieux catholiques qui la vénéraient lorsqu’elle était religieuse ne lui pardonnent pas son couple homosexuel et ses chansons de femme libre, en particulier en faveur de la pilule. Harcelée par le fisc, elle finit par se suicider avec sa compagne.

 Ce suicide constitue un moment paradoxalement heureux, de réconciliation avec la vie, de voyage ensemble vers un ailleurs. Jeanine se décrit elle-même comme une écorchée vive, incapable d’aimer. Ses relations avec ses parents sont empreintes d’une sourde violence. Avec son impresario, la rupture est brutale. Une scène nous la montre extrayant de force son ancien directeur spirituel d’un confessionnal.

 Le pseudonyme « Sœur Sourire » fut une belle trouvaille marketing, mais ne correspondait en rien au personnage que joue Cécile de France avec brio, volcanique, colérique, instable, profondément triste. Le film de Stinj Coninck met en scène des contradictions insoutenables : celle d’une femme avide de liberté qui prononce le vœu d’obéissance ; celle d’une Église qui cherche à s’ouvrir et à se réformer, mais peine à encourager l’initiative et la créativité de ses membres, et même simplement à les respecter.

Sandrine Blancke, Cécile de France

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