Nos jeunesses perdues

Dans « nos jeunesses perdues », documentaire réalisé en 2019, Éric d’Agostino immerge le spectateur dans le centre fédéral fermé pour jeunes délinquants de Saint Hubert, dans les Ardennes belges.

 Le centre accueille des jeunes de 16 à 22 ans, et donc à la fois des mineurs et de jeunes adultes. Il a été ouvert en 2010, dans des bâtiments qui font partie d’un centre de détention. Sa capacité d’accueil est de 13 personnes.

 Il s’agit indiscutablement d’une prison, avec de hautes grilles et des « chambres » sans poignées de porte. Mais on ne voit pas d’uniforme parmi le personnel. Les repas se prennent en commun, on circule librement pendant la journée d’une pièce à l’autre. Le projet de l’établissement est en effet pédagogique. Il consiste à donner une chance – peut-être une dernière chance – à ses pensionnaires.

Les jeunes peinent à discerner cette « chance » qu’on leur offre. Ils ne voient que l’enfermement, qui « engraine la haine ». Ils veulent à tout prix sortir de là, même si c’est pour être transféré dans une prison. Leur besoin de liberté se heurte à l’institution judiciaire. Dalhad se demande ce qu’il a avoué au juge, meurtre, viol ou trafic de stupéfiants, et lequel de ces méfaits lui permettrait de sortir immédiatement.

 Les jeunesses perdues le sont pour la société, qui n’est pas encore parvenue à intégrer ces jeunes, à leur proposer une vie digne, avec un logement, un travail, des papiers en règle. Pour les jeunes eux-mêmes, ce sont des années fichues en l’air, avec un casier judiciaire qui pèsera lourd à l’heure de chercher un boulot : « j’ai 18 ans et j’ai manqué toute ma jeunesse ».

 En droit pénal belge, le tribunal pour enfants peut se dessaisir d’une affaire lorsqu’un mineur a commis un crime relevant de la cour d’assises. Dans le centre fermé, les jeunes eux-mêmes se qualifient de « dessaisis », indiquant par là qu’ils ne maîtrisent pas leur destin.

 Cette ambigüité souligne l’obstacle du langage. Tous les pensionnaires du centre fermé de Saint Hubert pendant le tournage du film étaient issus de l’immigration. Tous avaient un accès limité à la langue française et au langage en général, à l’exception de Hassan, qui écrit des courriers aux juges pour ses camarades.

 Le documentaire d’Éric d’Agostino laisse une pesante atmosphère de fatalité. Ce qui donne un peu d’espoir, c’est la volonté de transparence des responsables et du personnel du centre, qui ont donné à l’équipe de tournage accès aux salles communes et aux « chambres », celle des jeunes qui ont accepté d’être filmés à visage découvert, celle du réalisateur qui a réduit les commentaires au strict minimum afin de laisser le spectateur libre d’interpréter le matériau qu’on lui propose.

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