La direction du Genepi, association qui avait été créée en 1976 comme « Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées » a annoncé le 2 août sa dissolution. L’association portait le nom d’une plante qui pousse là où personne ne va, dans une analogie avec les étudiants appelés à se rendre en prison.
Depuis 2019, le Genepi avait cessé d’intervenir en détention, et se définissait désormais comme « association anticarcérale et féministe ».
Le communiqué annonçant ce sabordage constitue un morceau d’anthologie du sectarisme. En voici quelques extraits. « Le Genepi a été créé par l’Etat français à la suite des mutineries dans les prisons dans les années 70, notamment pour calmer les contestations et acheter la paix sociale. Puis, durant 43 ans, il a organisé, en collaboration avec l’administration pénitentiaire, des activités en prison, qui ont participé à l’illusion de conditions d’incarcérations plus humaines. Il a aussi permis à des étudiant-es bourgeois-es de grandes écoles de s’acheter une bonne conscience et de servir leur voyeurisme sous couvert de charité, tout en les formant à devenir des futurs membres du système police-justice-prison. Le Genepi a donc été un des partenaires de l’administration pénitentiaire et il a contribué au maintien de son pouvoir et par ce biais, a joué le jeu de l’Etat (…)
« Notre perspective de lutte ne peut être que révolutionnaire, son but est l’abolition de la taule et de toutes les formes d’enfermement. En faisant le choix de dissoudre le Genepi, il s’agit pour nous de refuser de faire des compromis sur nos convictions et de pouvoir penser par la suite d’autres moyens de luttes réellement féministes et anticarcéraux.
« Féministes anticarcérales tant qu’il le faudra.
« Solidarité avec tout-es les prisonnier-es et crame la taule ! »
Il est difficile de justifier le sabordage du Genepi par une solidarité avec les personnes détenues, alors qu’on ne prend plus la peine d’aller à leur rencontre, de passer des moments en leur compagnie et de partager avec elles des connaissances.
La dissolution du Genepi prive les étudiants d’une opportunité de se confronter à un monde radicalement différent du leur, de rendre service et de développer des compétences relationnelles.
Il est douteux que cette dissolution contribue à abattre le « système police-justice-prison ».
Elle ne semble avoir qu’un effet bénéfique : le confort psychologique de ses initiatrices. Celles-ci peuvent se prévaloir de trois qualités : lucidité, courage, pureté.
Lucidité : au rebours d’une société qui considère la prison comme un mal nécessaire, elles se targuent de faire partie de la minorité clairvoyante qui sait identifier les conséquences mortifères de l’enfermement.
Courage : elles sont fières de poser un acte de rupture, révolutionnaire, et d’en assumer les conséquences. L’association ne jouit plus d’une subvention et d’un local par l’administration pénitentiaire, elle disparaît comme organisation. Elles sont heureuses de payer ce prix.
Pureté : elles tournent le dos à un passé de compromis et, osons le mot, de collaboration. Ancrées dans la radicalité d’une opposition chimiquement pure, elles refusent de se mélanger à des partenaires qui acceptent trop facilement, selon elles, de jouer le jeu de l’État. « Crame la taule ! » proclament-elles.
Depuis huit ans, je visite chaque semaine des prisonniers. Les valeurs qui sous-tendent cette expérience sont à l’opposé de celles que proposent les initiatrices du sabordage du Genepi : humilité, persévérance, complexité.
Humilité : je ne suis porteur d’aucune vérité préétablie. Je ne cherche pas à ramener les personnes détenues que je rencontre dans le droit chemin. Je passe avec elles un moment, et je ne sais jamais d’avance ce qui va s’y passer.
Persévérance : il n’y a ni coup d’éclat ni grand soir dans l’action du visiteur. La confiance réciproque se construit peu à peu, dans la durée. C’est l’esprit du marathon, même si la libération, le transfert ou le décès de la personne que l’on visite peuvent à tout moment interrompre la relation.
Complexité : le bénévole en prison est un acteur parmi d’autres. Il interagit avec les surveillants, les officiers, les conseillers d’insertion et de probation, les autres partenaires associatifs. Il apprend à se mouvoir dans un environnement pesant, mais riche aussi d’opportunités de coopération.
Interrogé par Le Monde, Yves-Marie Brient, président de l’Association nationale des visiteurs de prison, déplorait un « gâchis énorme au regard de ce que les jeunes étudiants pouvaient apporter aux personnes en détention, et de ce que ça pouvait leur apporter à eux-mêmes ».