Histoire des médias

Le dernier livre de Jacques Attali, « Histoires des médias » (Fayard, 2021) a pour sous-titre « Des signaux de fumée aux réseaux sociaux, et après ».

Le sous-titre indique l’intention du livre : dégager, par l’analyse historique, quelques grandes lois qui dirigent invariablement les sociétés humaines, et appliquer cette grille de lecture à la situation présente pour discerner l’avenir qui se prépare.

Les médias peuvent se définir comme les supports de diffusion de l’information et l’organisation qui permet cette diffusion. Ils naissent d’innovations techniques permettant la transmission de messages individuels, d’abord entre les princes et leurs lieutenants, puis à des masses de destinataires.

Jacques Attali

Ce qui frappe dans le livre d’Attali, c’est l’accélération vertigineuse de l’histoire. Vers 3 300 avant JC, trois innovations simultanées ont révolutionné la manière de transmettre l’information : la domestication du cheval, l’invention de la roue et celle de l’écriture. Lorsque le pouvoir central est assez fort, il utilise des relais postaux tous les 15 ou 20 km qui disposent de chevaux et assurent le ravitaillement, ce qui permet à un messager de couvrir quelque 200km en une journée. Ici où là, il met en place des signaux visuels relayés d’une colline à l’autre. Il utilise parfois des pigeons voyageurs.

Jusqu’au milieu du seizième siècle, souligne Attali, les moyens et la vitesse de circulation de l’information restent ceux qui existaient depuis -3 000.

Presse écrite : une rotative (1890)

Au quinzième siècle, l’invention de l’imprimerie et l’usage du papier, importé de Chine par les Arabes, permettent de mettre à disposition d’un nombre croissant de lecteurs des bulletins imprimés, comme les « avvisi » italiens, lettres contenant des informations confidentielles qui sont commercialisées. Peu à peu émergent la notion de « journal » et celle de « journaliste », avec un combat de plusieurs siècles pour faire accepter la liberté de la presse.

Au dix-neuvième siècle, la photographie ouvre la voie à la transmission de l’image, le téléphone à celle du son. La machine à vapeur fait tourner les rotatives, le prix d’un quotidien se ramène à un penny. Le vingtième siècle voit l’éclosion des trois médias « traditionnels » : la presse écrite, la radio et la télévision.

Puis les choses s’accélèrent : premier site internet en 1990, Facebook en 2005. Transfert massif de la publicité des trois médias traditionnels vers les réseaux sociaux. Effondrement de la diffusion de la presse écrite.

Des algorithmes scrutent en permanence les habitudes des utilisateurs des réseaux sociaux. « Ces nouveaux moyens d’information ont les mêmes objectifs que leurs prédécesseurs, avec des moyens plus puissants. Comme eux, depuis deux siècles, ils cherchent à gagner de l’argent et à avoir de l’influence. Et, pour cela, à capter le plus longtemps possible l’attention de leurs utilisateurs ; à en attirer de nouveaux et à attirer de la publicité. »

Radio

Ceci les conduit à ne proposer aux utilisateurs que des informations choisies pour leur convenir. Les indignations criées fort, les croyances non étayées (jusqu’à celle que la terre est plate), ont plus de poids que la recherche de la vérité par la confrontation d’opinions différentes.

Il y a là un vrai défi pour la démocratie : « chacun sera de plus en plus enfermé dans sa bulle, fuyant les informations contradictoires. Le compromis sera alors plus difficile à construire entre des groupes de plus en plus retranchés dans leurs certitudes. »

L’information, qui est un bien commun, se trouve de fait entre les mains d’un tout petit nombre de propriétaires privés. « Le plus vraisemblable est que le meilleur n’arrivera pas naturellement, que les forces du marché feront advenir le pire : les réseaux sociaux, pour survivre, auront un besoin vital de priver tous les autres médias de tout revenu et les détruiront. Journaux, radio, télévision, incapables de maîtriser leurs relations avec leurs clients, disparaîtront l’un après l’autre. »

Le dernier chapitre du livre s’intitule « que faire ? ». On y trouve, logiquement, un appel à contrôler les plateformes et réseaux sociaux (en particulier en rendant publics les algorithmes qu’ils utilisent) et à les démanteler.

Il faudrait revaloriser le journalisme et organiser la survie de la presse écrite, de la radio et de la télévision. Jacques Attali reprend la notion « d’avvisi », et souhaite la création d’un nouveau média, l’avvisi numérique : il s’agirait de lettres confidentielles destinées à des abonnés utilisant l’écrit, le son, l’image, et le réseau social avec peut-être, dans l’avenir, le recours à des hologrammes. Elles chercheraient à créer des communautés hors de la dépendance des plateformes.

Il en appelle aussi  à l’éducation : apprendre à discerner la vraie information de l’infox ; apprendre à se déconnecter et à « prendre le temps de ne pas s’informer ».

Un hologramme

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