Il est vrai que le Prix Goncourt fait vendre. Il m’a valu de recevoir en cadeau « La Carte et le Territoire », roman de Michel Houellebecq (Flammarion, 2010), et il m’a donné envie de le lire.
Je n’avais jamais lu Houellebecq. Cette première expérience m’a étonné. Le livre fait entrer l’auteur dans son cadre : l’écrivain est l’un des principaux personnages du roman. Le peintre Jed Martin lui a demandé de préfacer le catalogue de son exposition, qui connait un succès tel que les œuvres se vendent pour des centaines de milliers d’euros. En remerciement, le romancier reçoit son portrait et, avec lui, son arrêt de mort : il sera sauvagement assassiné par le voleur de l’œuvre.
Le livre sort du cadre : commencé vers 2010, il se termine vers 2040, à la mort de Jed Martin. La France est redevenue un pays rural, tout entier consacré au tourisme vert pour une clientèle internationale dont les Chinois représentent une notable proportion.
Les deux personnages principaux, Jed Martin et Michel Houellebecq, sont présentés comme des misanthropes accablés de solitude et, dans le cas de Houellebecq, sérieusement alcooliques. Ils n’ont pas, pourtant, de penchant suicidaire : lorsque le père de Jed fait part à son fils de son intention de recourir aux services de Dignitas pour interrompre sa vie, Jed tente de l’en dissuader ; lorsque son père a mis son projet à exécution, Jed passe à tabac une employée de la clinique dans un accès de furie.
On trouve dans le livre une fascination pour les procédés industriels et les mécanismes de marché. Les objets tiennent beaucoup de place dans la vie de Jed, une belle voiture, un vêtement agréable à porter, plus de place probablement que la belle Olga devenue son amante. C’est au point que Jed peint des objets, tels que des cartes de géographie, avant de connaître la gloire en représentant ceux qui produisent ces objets. La carte est plus intéressante que le territoire, dit-il.
L’auteur prête au père de Jed une fascination pour William Morris, un artiste, designer, écrivain, militant socialiste et fondateur d’une coopérative ouvrière de papiers peints dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Morris était l’ami du préraphaélite Dante Gabriel Rossetti, avant que ce dernier devînt l’amant de sa femme Jane Burden. Comme les préraphaélites, il était passionné par la redécouverte de la nature et le rêve d’une activité industrielle redevenue artisanale qui ne l’abîmerait pas.
Michel Houellebecq est fasciné par des objets qui, comme une belle voiture, ne peuvent être produits que par une industrie sophistiquée et mondialisée. C’est pourtant à une France post industrielle – ou peut-être préraphaélite – qu’il nous incite à aspirer.
J’ai lu ce livre avec un intérêt soutenu, malgré le désespoir qui transpire et malgré les pages de descriptions plates comme un article d’encyclopédie. Lire Houellebecq ne m’a pas déçu.