Dans « jusqu’au bout de mes peines, chroniques d’une juge de l’application des peines », Bérangère Le Boëdec Maurel témoigne de son expérience de « JAP » à Alès, dans le Gard.
Le livre est constitué de récits de rencontres de la juge avec des personnes condamnées pour lesquelles s’est posée la question d’un aménagement de peine. Est-il opportun et possible, par exemple, de convertir une peine d’emprisonnement en un sursis probatoire, un travail d’intérêt général, un « bracelet électronique » ou un placement extérieur ?
L’ouvrage est structuré en deux parties. Dans la première, intitulée « les matins », l’autrice raconte des situations dans lesquelles, quelquefois malgré un pronostic pessimiste, une peine alternative à la prison a permis à des personnes de reprendre confiance en elles-mêmes et en la justice, jusqu’à s’éloigner de la délinquance. Elle se réjouit d’avoir pu leur « laisser la possibilité d’envisager que la vie pouvait être source de bonheur et de quiétude »
La seconde partie s’intitule « les soirs ». La juge est souvent confrontée à l’échec. Elle évoque les alcooliques, dont l’alcool est l’implacable geôlier, plus redoutable que la prison elle-même. Elle parle de ces escrocs manipulateurs experts en supercherie, qui ont fait du mensonge un usage si massif qu’aucune promesse d’amendement n’est crédible.
La juge exerce son métier dans un contexte géographique particulier, celui des Cévennes. « Dans les coins les plus reculés de ce magnifique pays, on peut mourir de faim. » Elle parle d’un jeune que sa mère avait abandonné depuis bien des années, qui « avait grandi comme une herbe folle, de familles d’accueil désespérées aux éducateurs fatigués. » Elle évoque « cette odeur de la misère, de l’alcool transpiré qui colle aux vêtements et à la peau. » Une contrainte de son activité est la surpopulation de la prison du Gard, celle de Nîmes, qui rend tout séjour en prison particulièrement déstructurant.
Les clients de la « juge de l’application des peines » sont rarement des caïds du grand banditisme ou des assassins compulsifs. Ce sont en majorité des gens fracassés par la vie, dont la vie n’est faite que de petits délits ou qui ont commis l’infraction de leur vie. « Ce ne sont pas des monstres que nous jugeons, mais ce sont bien des hemmes et des hommes qui ont commis des crimes atroces, avec toute leur humanité. »
« Nous œuvrons, dit l’autrice, au rétablissement de l’harmonie sociale. » « Nous sommes confrontés à une incessante violence et nous exerçons nous-mêmes une forme de violence, celle de la loi. » Elle définit son métier comme celui « d’ajusteur judiciaire », ou encore de « chirurgien opérant à cœur et âme ouverts ». La juge prend seule sa décision, mais la qualité de cette décision dépend de l’intensité de ses interactions avec les autres parties prenantes : les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) qui sont en contact avec les condamnés et donnent leur avis sur la peine la plus adéquate ; les procureurs, qui représentent les intérêts de la société ; les avocats, qui défendent leur client.
C’est un métier où il faut trouver en permanence « le juste positionnement, fait de respect, d’écoute, d’autorité, de fermeté et de bienveillance ». C’est un métier où l’on applique la loi dans toute sa rigueur, mais aussi dans lequel « on ne renonce pas au temps du doute, à celui de l’écoute. » « Celles que nous ne parvenons pas toujours à déceler et à traiter sont les maladies de l’âme : cette tristesse, ce détachement des bonheurs de la vie, ce dégoût de soi, ce « spleen » destructeur qui fait commettre des délits par renoncement, sans véritable envie de les commettre et sans réelle satisfaction de les avoir commis. »
« Jusqu’au bout de mes peines » inclut de nombreuses notes qui rendent facilement compréhensibles les différentes peines applicables et les acteurs qui interviennent dans la décision judiciaire et son suivi. Il est aussi riche de données factuelles que de témoignages humains.