Ecrivains en prison et écrits de prison

Le magazine en ligne « Champ pénal » a publié le 22 décembre 2021 un article de Natacha Galvez intitulé « écrivains en prison et écrits de prison : entre acte de création littéraire, survie personnelle et engagement social », 

L’autrice a étudié les œuvres écrites par des femmes et des hommes alors qu’ils étaient emprisonnés : Brigitte Brami, Alain Caillol, Audrey Chenu, Christophe de la Condamine, Pierre Goldman, Serge Livrozet, Claude Lucas et Louis Perego. Elle a rencontré plusieurs d’entre eux.

Natacha Galvez montre qu’écrire répondait, pour les personnes détenues, à un besoin de survie. Elle cite Louis Perego dans « le coup de grâce » : « J’ai trouvé un moyen de tenir ma douleur à distance, de m’en détacher un peu : je l’écris. Cela ne l’empêche pas de mordre cruellement si je me relâche et je l’aborde avec précaution. Jour après jour, il me faut vérifier minutieusement l’état du filet étroit où je l’enserre. Prisonnier de ma situation, je deviens le geôlier de son expression. J’en apprivoise le sens avec des mots à moi ».

Louis Perego lui avait raconté, lors d’une rencontre : « Je me suis retrouvé en cellule avec deux autres types. Il y avait une petite table qui était rabattue dont personne ne se servait et qui se trouvait juste en dessous de l’étagère où il y avait la télé. Je me mettais donc dessous pour ne pas voir l’image et puis je mettais du papier WC dans les oreilles. Puis j’écrivais, je continuais mes petits papiers. »

« L’écriture, en faisant face à la quotidienneté carcérale, la comprend, écrit Galvez, elle la fait sienne. La prison comprend le détenu, dans le sens où elle est le contenant et lui le contenu tout en constituant un savoir sur lui. Par l’écriture, le détenu devient le contenant dans le sens où il acquiert un pouvoir imaginaire sur la quotidienneté carcérale. »

L’autrice cite Brigitte Brami, qui parle de « transfiguration poétique » : « Lorsque les auxiliaires accompagnées des surveillantes viennent lui apporter ses repas en cellule, elle s’imagine qu’il s’agit du room service d’un grand hôtel qui vient lui apporter sa commande. Elle opère par le biais de l’imaginaire un changement de la nature des événements. Par l’imaginaire, l’auteure prend le pouvoir sur la situation en transformant les contraintes en privilèges. »

Galvez insiste sur le choc du procès. L’accusé est placé au centre d’une scène de théâtre dans laquelle sa parole est confisquée par le rituel judiciaire et par l’expertise psychiatrique qui entend démontrer, à sa place, sa véritable personnalité. Elle cite Pierre Goldman : « La salle était bondée, conformément à la théâtralité de la Justice, à son apparat. C’est vrai, c’est un choc et on en reçoit durement l’impact. Ce choc, la description peut seulement en être banale. On sort de l’enfermement, de l’isolement et de la solitude cellulaires des années d’emprisonnement, de leur sombre calme angoissé, et on est jeté dans un éclat blessant qui éblouit et offusque ». Par l’écriture, le détenu reprend en mains le discours qui lui échappait au tribunal.

Il faut souligner que peu de personnes détenues ont la capacité de se créer par l’écriture un espace de liberté en prison. Et rendre compte de la réalité carcérale n’est pas facile, comme en témoigne Pierre Goldman, cité par Natacha Galvez : « Est-ce qu’on peut dire la prison ? Est-ce qu’on peut dire le silence, est-ce qu’on peut dire les larmes lentes et secrètes après l’extinction des feux, parfois, est-ce qu’on peut dire les amitiés des voyous et des assassins, des voleurs, est-ce qu’on peut dire la détresse, la fierté, la superbe des vieux caïds enfermés, qui répètent inlassablement la litanie de leurs exploits passés, ou qui n’en parlent jamais, est-ce qu’on peut dire l’attente et le temps ? »

Les dessins d’enfants illustrant cet article sont extraits du site criminocorpus.org

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