Dans « Como polvo en el viento » (2020), le romancier cubain Leonardo Padura raconte l’histoire d’un groupe d’amis nés au moment de la révolution cubaine, depuis la célébration de leurs trente ans en 1990 jusqu’en 2016. Le roman a été traduit en français en 2021 par René Solis et publié aux Éditions Métailié.
Le titre du livre est extrait d’une chanson de Kansas de 1977, « Dust in the wind » : nous ne sommes que poussières dans le vent. Un groupe d’étudiants de La Havane reste lié bien après la fin de leurs études. Mais quand ils célèbrent l’anniversaire de Clara, le 21 janvier 1990, ils ne se doutent pas que c’est la dernière fois que leur « Clan » se retrouve tout entier.
Quelques jours plus tard, l’un d’entre eux, Walter, est trouvé écrasé sur le trottoir d’un immeuble de 16 étages. Suicide ? Meurtre ? Elisa, que l’on sait enceinte d’un autre homme que son mari, disparaît sans laisser de trace. Assassinat ? Fuite à l’étranger ?
Le groupe d’amis est pris dans le grand vent de l’histoire. En 1990, la disparition de l’Union Soviétique, qui maintenait le régime cubain sous perfusion, entraîne la « période spéciale », marquée par la misère et le désespoir. « Tout manquait et la seule chose qui existait en abondance était le temps. Un temps atroce, doté d’une étrange capacité de dilatation comme reflet de sa relativité : le délai entre un repas et un autre s’ouvrait comme un désert tendu et immense duquel parfois on ne savait pas si on pourrait sortir ; les vagues de coupures de courant se convertirent en périodes exaspérantes, interminables (…) Un temps vide ou erratique, déformé, comme s’il traversait une horloge molle de Dali. »
Au plus fort de la crise, le salaire mensuel d’une chercheuse, 3 dollars, équivaut au prix de deux poulets achetés au marché noir. À la peur corrosive de l’avenir, devenu brumeux et impénétrable, s’ajoute celle de la surveillance permanente par des délateurs qui peuvent être des proches. Il faut aussi compter sur la perte des valeurs : « Tous ceux qui le pouvaient, volaient. Ceux qui avaient de l’argent, achetaient. Quant à ceux qui ne pouvaient pas voler ni avoir de l’argent, ils étaient foutus. »
La plupart des membres du Clan émigrent, aux États-Unis, en Argentine, en Espagne. Seuls restent à La Havane Clara et ses fils Ramsés et Marcos, jusqu’à ce que ceux-ci, devenus adultes, émigrent eux aussi pour la France et les États-Unis. Clara est l’héroïne du roman. Face à l’adversité, elle se transforme en combattante « capable de pratiquer tous les arts de la survie qui se trouvaient à sa portée ». Fièrement, elle pourra se targuer d’avoir garanti à ses fils, « même dans les jours les plus obscurs, un plat de nourriture, un toit, une paire de chaussures, protection et amour. » Elle trouve dans Bernardo, le mari délaissé d’Elisa, enfin libéré de l’addiction alcoolique, un miraculeux compagnon.
Tous les personnages du livre ont une épaisseur humaine. Le livre s’intéresse à chacun d’eux en détail, faisant progresser l’intrigue millimètre par millimètre tout au long de ses 700 pages. Dario, l’enfant misérable battu par sa mère, est vacciné contre la douleur physique et se promet d’être toujours le meilleur, jusqu’à devenir un neurochirurgien riche et respecté à Barcelone. Elisa prend l’identité d’une Loreta et s’efforce de couper tout lien avec Cuba… et sa fille Adela se demande « pourquoi sa mère semblait-elle venir d’une planète différente, brumeuse et sans contours définis. ».
Adela vit une histoire d’amour avec Marcos, fils de Clara, à Hialeah, un faubourg de Miami où l’on mange de la nourriture cubaine, dans les cafés duquel on boit du café cubain. Leonardo Padura observe qu’à Hialeah, les émigrés portent avec eux leur mode de vie « comme l’escargot qui traîne sa demeure. »
Le roman est riche d’observations sur la réalité vécue par les émigrés, qui restent des déracinés. Irving, l’un des membres du Clan, est émigré à Madrid. Il a l’habitude de se rendre au Parc du Retiro, près de la statue des anges déchus. Il éprouvait « une sensation d’éloignement entre son corps satisfait (à Chueca, à Madrid) et son âme à la dérive (dans le purgatoire infini des anges déchus). »
Leonardo Padura a contribué au scénario de « Retour à Ithaque », film de Laurent Cantet (2014), sur un thème voisin de « Poussière dans le vent » : le difficile retour au pays d’exilés.